DOUGHTY Charles Montague

(Theberton, Suffolk, 1843 – Sissinghurst, Kent, 1926)

Bien qu’il s’inscrive lui-même dans un monde littéraire anglophone - il attachait bien plus d’importance à son combat pour la restauration de la langue anglaise, illustré par une œuvre poétique aujourd’hui totalement oubliée, qu’à sa contribution à la connaissance de l’Arabie intérieure -, Doughty est une référence importante pour l’orientalisme français.

Après des études de géologie à Cambridge, ce fils de pasteur entreprend pour son compte, à la Bodleian Library d’Oxford, un travail lexicologique sur la langue anglaise pré-shakespearienne. Il s’engage ensuite dans un classique Grand Tour en Méditerranée qui se termine en Terre Sainte. De là, il entreprend, sans soutien ni protection d’aucune sorte, une exploration de l’intérieur de la Péninsule arabique. Parti avec la caravane de La Mecque en 1876, il fait une halte fructueuse dans la cité nabatéenne de Médaïn Saleh, dont il va donner les premières descriptions. Il y procède aux relevés épigraphiques de textes qui seront publiés en 1884 par Renan* - l'exploration du site ne sera en fait reprise qu’après 1907, avec les expéditions de l'école biblique de Jérusalem, sous l'égide des pères Jaussen* et Savignac. Profitant de l’hospitalité bédouine il se lance ensuite dans une aventureuse pérégrination vers l’intérieur de la Péninsule dont il va décrire avec grande pertinence la situation sociale. Refusant de dissimuler son statut d’Anglais et de chrétien dans un Nejd travaillé par la réforme wahhabite, il frôle plusieurs fois la mort, et échoue finalement à Djedda, en 1878, après un périple d’un an et demi.

Œuvre littéraire ambitieuse, et d’un abord pour le moins difficile, les Travels in Arabia Deserta, qu’il met cinq ans à écrire, ne trouvent éditeur qu’en 1888. Le texte ne connaît qu’un succès limité jusqu'à ce que T.E. Lawrence, au faîte de sa gloire, en obtienne la réédition, qu’il accompagne d’une ample préface écrite de sa main (1921). Mais c’est une version d’extraits, publiée à partir de 1931, qui lui assure une notoriété véritable – notamment grâce à une traduction française (Payot, 1947), qui ne cherche pas à en restituer le style. La traduction intégrale des voyages par Jean-Claude Reverdy, un sociologue ayant exercé en Arabie, ne fut publiée qu’en 2002 chez Karthala. Au cours d’un travail de dix années, le traducteur s’est attaché à transposer la prose étrange de Doughty dans une langue française préclassique. Le lecteur francophone peut désormais s’immerger dans ce récit océanique, de près de 1 500 pages, où alternent descriptions du désert riches d’implications poétiques et métaphysiques, évocations aiguës d’un monde bédouin qui semble dénuder dans ses excès la condition humaine, anecdotes cocasses (on rit beaucoup) et diatribes contre l’islam. Lawrence, dans sa préface, dit à quel point ce livre fut précieux pour les officiers britanniques engagés pendant la Première Guerre mondiale auprès de la Révolte arabe – manière de dire l’influence de ce texte sur l’écriture des Sept piliers. L’écho de cette publication (et plus généralement des textes anglais portant sur l’Arabie) dans l’espace francophone révèle le chauvinisme qui règne dans l’hexagone après la conquête de l’Algérie, quand l’approche du désert fut tout entier centré sur quelques héros de l’épopée saharienne, de Caillé* à Foucauld*. Malgré la production importante de recherches suite à l’installation d’un Mandat français sur la Syrie dans l’entre-deux-guerres, les mondes du Proche-Orient arabe, hors quelques traductions de récits de voyage (Lady Blunt, Palgrave et, bien sûr, T.-E. Lawrence), n’ont guère passionné le public français.

Guy Barthèlemy et François Pouillon

POUILLON François, « Doughty d'Arabie, un voyageur d'exception » et Dossier critique in C. M. Doughty, Arabia deserta [textes choisis par Ed. Garnett], Paris, Payot, 1990, pp. 331-375.



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