BOUVIER Nicolas

(Grand-Lancy, Suisse, 1929 – Cologny près Genève, 1998)

Père fondateur du récit de voyage moderne, il explore à partir des années 50 des stratégies de voyage et d’écriture inédites qui seront des références pour les écrivains-voyageurs des décennies suivantes. Dans son ouvrage intitulé La guerre à huit ans (1999), il fait part de ses premières lectures (Robert-Louis Stevenson, Jules Verne*, Jack London) et raconte comment les Atlas ont très tôt suscité un intérêt particulier pour la géographie.

Ses aïeux l’ont rendu familier avec le monde littéraire : son père, bibliothécaire, et son grand-père recevaient à domicile de nombreux écrivains de renom (Marguerite Yourcenar, Herman Hesse et Thomas Mann). Mais c’est, semble-t-il, la relative froideur helvétique d’un milieu familial bourgeois qui le pousse à aller voir ailleurs. Il réalise donc ses premiers voyages en bicyclette (Bourgogne, Italie) et très tôt, il se fait reporter : en Finlande, en 1948, pour La Tribune de Genève ; au Sahara algérien, en 1950, pour Le Courrier. Pendant ses études de Droit et de Lettres à l’Université de Genève (il obtient une double licence en 1955), il rêve déjà de voyage : c’est sur les routes qu’à l’instar de Gorki, il est parti chercher « ses universités ».

En 1953, avec le peintre Thierry Vernet, il part en Fiat coccinelle, de Belgrade à Kaboul, sans savoir où, ni pour combien de temps. L’un peint, l’autre écrit et ce sont ces deux activités qui vont permettre aux deux compères de financer leur voyage. Publié à compte d'auteur en 1963, L'Usage du monde qui retrace ce grand périple à travers l’Europe et l’Asie centrale, a contribué à redéfinir la littérature de voyage au milieu du XXe siècle. Il s’agit d’un récit de voyage contemporain où l’histoire est omniprésente mêlée à une invitation à goûter à la douceur des moments présents. Après sa descente de l’Inde, et le départ de Thierry pour l’Europe, Bouvier est bloqué, seul, pendant sept mois, au Sri-Lanka où sa santé lui interdit de poursuivre la route. Il vit sur l’île une expérience noire qu’il tardera à publier (Le poisson-scorpion, 1981). De cette « descente aux enfers », il renaît néanmoins écrivain, en embarquant en octobre 1955 à destination de Yokohama. Sa première année au Japon a joué un rôle déterminant dans son œuvre : il écrit de nombreux articles pour des magazines japonais, s’adonne à la photographie et visite l’archipel. De retour en Suisse en 1957, il se marie et s’installe à Cologny l’année suivante, exerçant le métier d’iconographe pour l’Organisation Mondiale de la Santé et les éditions Rencontre. En 1964, il entreprend, avec sa femme Eliane (qui sera l’éditrice d’un important recueil de ses œuvres – Gallimard, 2004) et leur premier fils, un deuxième voyage au Japon en vue de la rédaction d’un livre commandé par l’éditeur Rencontre (Japon, 1967 ; repris comme Chronique japonaise chez Payot en 1975). À la fin de sa vie, l’écrivain-voyageur consacré tardivement exerce le métier de guide de voyage à plusieurs reprises en Chine, et se produit comme conférencier, par exemple en Amérique.

Bercé par la musique depuis son enfance, accompagné par un peintre pendant son premier grand voyage, devenu photographe inspiré au Japon, l’écriture est chez lui rythmée par les images autant que par les sons (Cf. L’œil du voyageur, 2001). Fondé sur une tradition littéraire de la Suisse romande, appuyée sur Ella Maillart*, Charles-Albert Cingria, Blaise Cendrars, ses lectures font également de lui un voyageur érudit : Montaigne, Basho, Rousseau, Stendhal, Nietzche, Chappaz, Miller, entre autres, alimentent ses réflexions sur le rapport de l’homme au monde. Au travers d’un exercice de disparition de soi à la fois dans la photographie et dans l’écriture, il y a chez lui, comme chez d’autres signataires du manifeste « pour une littérature voyageuse » (1992) tels que Jacques Lacarrière et Bruce Chatwin, une volonté de se laisser guider par le voyage afin de manifester une véritable disponibilité au monde. Pendant le festival Étonnants voyageurs à Saint-Malo, le prix « Nicolas Bouvier » récompense chaque année un auteur ayant particulièrement innové dans la pratique et dans l’écriture du voyage.

David Couvidat

JATON Anne-Marie, Nicolas Bouvier, paroles du monde, du secret et de l’ombre, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2003. LAUT François, Nicolas Bouvier, l’œil qui écrit, Payot, 2008. PASQUALI Adrien, Nicolas Bouvier, un galet dans le torrent du monde, Zoé, Genève, 1996.



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