DURANTON Ferdinand Stanislas Sébastien

(Jérémie, Saint-Domingue, 1787 – Fort de Médine, sur le fleuve Sénégal, à l’ouest du Mali actuel, 1838)

Militaire et explorateur des territoires du Haut-Sénégal au début de l’expansion française vers l’intérieur de l’Afrique, il fut singulier par sa tentative de s’installer durablement dans l’un des États de cette région, le Khasso, et d’y mener une politique autonome. L’indépendance de son comportement, son mariage avec la fille du chef du Khasso et son implication personnelle aux côtés de celui-ci dans les opérations militaires impressionnèrent ses contemporains. Les membres de la Société de géographie* le considéraient comme un voyageur hors du commun, « acclimaté », vivant selon la manière du pays, portant le costume maure et parlant les langues locales.

Fils d’un commissaire des colonies et d’une créole, il fit quelques campagnes de l’Empire, puis démissionna de l’armée en 1816, avec le rang de capitaine. Il s’embarqua à destination des Antilles ; son navire ayant fait naufrage, il revint en France et sollicita un emploi dans les colonies. En 1819, il fut nommé commis auxiliaire de la marine au Sénégal et débuta ainsi dans l’administration de la marine au grade le plus bas ; il servit comme administrateur du poste de Dagana, sur le Sénégal, mais fut rappelé pour des irrégularités dans la comptabilité et se retrouva à Saint-Louis, au bureau de contrôle du magasin central. Il démissionna presque immédiatement et s’engagea dans la Compagnie commerciale de Galam qui l’envoya en qualité de résident à Bakel, comptoir français situé sur le courant supérieur du fleuve Sénégal, à la frontière entre les États du Fuuta-Tooro, du Bunndu et du Gajaaga (le « Galam » des Français).

Sur sa demande, on lui confia une mission de prospection vers l’intérieur : en 1823, il remonta le Sénégal jusqu’aux cataractes de Félou, explora le Bunndu et le Bambuk et décrivit son itinéraire. Il effectua un second voyage précédant celui de Grout de Beaufort, qui fut envoyé dans le Haut-Sénégal par l’administration ; ensemble ils projetèrent de rejoindre Tombouctou. Les discordes et difficultés matérielles ayant empêché ce voyage, de Beaufort partit seul et mourut en 1826. Duranton se mit en route également, mais s’installa dans le Khasso, à quatre cent cinquante kilomètres environ à l’est de Bakel, entre le Sénégal et le Falémé, où il devint l’allié du chef khassonké, Awa Demba, et épousa la fille, Sadioba. Son projet était de construire une alliance des États de cette région contre les Bambara du Kaarta, un État puissant situé à l’est du Khasso, point d’aboutissement des caravanes de sel du Tagant et du Hodh et aussi porte vers la vallée supérieure du Niger, et ses centres commerciaux tels Ségou, Djenné et Tombouctou. Il laissa une nouvelle description de la situation de ces pays exposant la politique expansionniste que l’administration coloniale devait élaborer afin d’y augmenter son influence et notamment pour mettre la main sur les mines d’or de Bambuk. Ce projet s’opposait au monopole de la Compagnie de Galam en liant l’avenir de la colonisation avec la liberté du commerce. Duranton revint à Saint-Louis en 1826 ; le gouverneur Jacques-François Roger le prit sous sa protection face à ses détracteurs qui l’accusaient de ne pas avoir accompli la mission pour laquelle il avait été subventionné.

Après un séjour en France, grâce à la recommandation du baron Roger, le ministère de la Marine le chargea d’explorer, avec un minéralogiste amateur, Mouttet, et un ingénieur des mines, Tourette, les mines aurifères du Bambuk et de prospecter la route vers Tombouctou. Au cours de sa nouvelle mission (1828), Duranton se sépara de ses compagnons et s’installa de nouveau au Khasso. Il construisisit le fort de Médine afin de renforcer sa situation dans la guerre contre l’État voisin du Logo, aux confins nord du Bambuk. Conscient de la progression lente des Français dans le Haut-Sénégal, il agit en acteur indépendant et essaya de créer une coalition entre Bunndu, Khasso et Bambuk, la dressant contre le Kaarta et ses alliés des États soninké du Gajaaga. Il entreprit cette politique d’alliances et de guerres à l’insu de la Compagnie de Galam ; il ne donna plus de ses nouvelles ; on le croyait devenu « roi nègre ». L’état de guerre dans le Gajaaga le contraignit de se réfugier à Bakel (1834), où la Compagnie et l’administration l’accusèrent d’être un espion anglais. En 1837, il fut arrêté et conduit à Saint-Louis, jugé et disculpé. Il revint à Médine et y mourut en 1838. Les destinées des enfants de Duranton et de Sadioba, élevés à Saint-Louis, furent marquées par la conquête française du Sénégal : son fils fit ses études à Saint-Cyr, puis à l’École d’état-major ; il voulut être reconnu comme petit-fils de roi et finit par se suicider ; sa fille fut témoin du siège de Médine (1857) par les troupes d’al-Hâjj Umar Taal (1796-1864), créateur de l’empire toucouleur ; elle « ne put résister au spectacle des massacres » et en mourut ; Faidherbe* et Raffenel évoquèrent sa fin dans leurs récits de campagne.

Anna Pondopoulo

dbf, p. 724-726. FAURE C., « Le premier séjour de Duranton au Sénégal (1819-1826) », Revue de l’histoire des colonies françaises, 9, 2, 1921, p. 189-263. GOMEZ Michael Angelo, Pragmatism in the Age of Jihad: The Precolonial State of Bundu, Cambridge U. P., 1992. HARDY Georges, « Un épisode de l’exploration du Soudan. L’affaire Duranton (1828-1838) », Annuaire et mémoires du Comité d’études historiques et scientifiques de l’aof, Gorée, Imprimerie du Gouvernement général, 1917, p. 411-436.



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