SILVESTRE DE SACY Antoine-Isaac

Cette notice remplace celle qui a figuré dans une précédente édition.

(Paris, 1758 – Paris, 1838)

Fondateur de l’orientalisme moderne.

Né dans une famille bourgeoise de tradition janséniste, Silvestre de Sacy doit son goût pour les langues orientales au bénédictin Dom Berthereau, qui l’initie à l’hébreu, dès l’âge de douze ans. Il s’intéresse ensuite au syriaque, au chaldéen, au samaritain, à l’arabe et à l’éthiopien, langues sur lesquelles se fondent les études bibliques. S’il ne se rend jamais en Orient, il reçoit une formation plus poussée auprès d’un « juif très instruit » et il est en contact, dans les années 1778-1782, avec Étienne Le Grand*, secrétaire-interprète du roi qui lui enseigne l’arabe, le turc et le persan. Après des études de droit, il est pourvu d’une charge de conseiller à la Cour des monnaies, au début des années 1780, mais il ne se détourne nullement de l’érudition orientale. En 1783, paraît dans le Repertorium für biblische und morgenländische Litteratur d’Eichhorn, le texte hébreu des lettres des Samaritains adressées à Scaliger, avec une traduction latine et des notes dues à Silvestre de Sacy.

Ces premiers travaux de bibliste lui valent de figurer, en 1785, sur la liste des huit associés libres admis à l’Académie des inscriptions, dont il devient membre titulaire en 1792. Ses Mémoires sur diverses antiquités de la Perse, et sur les médailles des rois de la dynastie des Sassanides, publiés en 1793, font date. Parallèlement, l’académicien s’intéresse aux textes arabes : dès 1785, en s’appuyant sur la poésie, il présente deux mémoires ayant trait respectivement à l’histoire ancienne des Arabes et à l’origine de leur littérature, travaux qui paraissent postérieurement avec des corrections et des additions importantes (Mémoires de littérature, tirés des registres de l’Académie royale des IBL, t. XLVIII et t. L, 1808). Silvestre de Sacy entame aussi dès cette époque ses travaux sur les Druzes ; mais ce n’est qu’en 1838, quelques semaines avant sa mort, qu’il publie son ouvrage intitulé Exposé de la religion des Druses, tiré des livres religieux de cette secte, et précédé d’une Introduction et de la Vie du khalife Hakem-biamr-allah, dont Nerval* s’est servi dans le deuxième tome de son Voyage en Orient.

Partisan d’une monarchie tempérée (Où allons-nous et que voulons-nous ? ou la Vérité à tous les partis, 1827) et guidé avant tout par l’idée de servir l’État, semble-t-il, Silvestre de Sacy traverse sans encombre les régimes politiques successifs. Sa nomination comme professeur d’arabe à l’École spéciale des langues orientales vivantes*, au moment de sa création en 1795, marque un tournant décisif dans sa carrière. En dépit de la finalité pratique assignée à l’École par ses fondateurs, c’est un enseignement destiné à former des savants qui y est inauguré par Silvestre de Sacy, affecté, semble-t-il, par la nomination, en 1803, de Raphaël de Monachis* comme « professeur adjoint d’arabe vulgaire ». L’arabisant s’acquitte magistralement de l’obligation faite aux professeurs de l’École de rédiger une grammaire de la langue qu’ils enseignent et il bénéficie dans la réalisation de cette tâche du rétablissement des impressions orientales, désormais assurées par l’Imprimerie nationale. Sa Grammaire arabe, inspirée des principes de la grammaire générale en même temps que des grammairiens arabes, paraît en 1810 et est rééditée, avec des corrections et des additions, en 1831 (réimpression, IMA, 1986). Elle remplace avantageusement la Grammatica arabica d’Erpenius (Leyde, 1613). À cette œuvre maîtresse, Silvestre de Sacy ajoute une Anthologie grammaticale arabe ou Morceaux choisis de divers grammairiens et scholiastes arabes avec une traduction et des notes, publiée en 1829, et il donne, en 1833, une édition de l’Alfiyya ou la Quintessence de la grammaire arabe, traité en vers d’Ibn Mâlik. Suivant un projet pédagogique cohérent, Silvestre de Sacy met à la disposition de ses élèves des textes diversifiés, tirés essentiellement des manuscrits de la  Bibliothèque nationale. Paraît d’abord, en 1806, une Chrestomathie arabe, sorte de livre de lecture, composé d'extraits d'historiens et de géographes médiévaux, d'écrits religieux des Druzes, de poésies choisies et de correspondances officielles. La Chrestomathie est adoptée dans les universités étrangères et connaît une large diffusion. Une édition révisée paraît en 1826 (rééd. PUF, 2008). Le maître ne s’en tient pas qu’à la publication d’extraits et il édite intégralement des textes considérés par les Arabes comme des modèles de littérature : en 1816, il publie Calila et Dimna ou Fables de Bidpai, l’un des premiers ouvrages en prose arabe classique et, en 1821, il fait paraître Les Séances de Hariri, un monument de la prose rimée, qu’il accompagne d’un commentaire tiré essentiellement des auteurs arabes. En outre, Silvestre de Sacy ne cesse de défendre, face aux réticences des orientalistes allemands en particulier, l’étude de la poésie (JA du 8 juin 1826), et la deuxième édition de sa Grammaire arabe, publiée en 1831, est augmentée d’un Traité de la prosodie et de la métrique des Arabes. Alors qu’à la fin du XVIIe siècle, Galland* et d’Herbelot* tirent leur savoir surtout de compilations tardives, un siècle plus tard, Silvestre de Sacy initie un travail d’exhumation des textes fondateurs, qu’il se procure parmi les manuscrits de la Bibliothèque nationale ou qu’il obtient par son réseau de correspondants établis en Orient : agents diplomatiques, anciens élèves et amis. Il est l’introducteur d’Ibn Khaldoun en Europe et il établit la liste des auteurs à éditer. L’œuvre de Silvestre de Sacy doit être vue moins comme une entreprise de fragmentation réductrice de l’Orient (Said, L’orientalisme, 1980, p. 147-154) que comme une vaste exploration du patrimoine arabe, ancrée dans la connaissance héritée des Temps modernes, et largement tournée vers la langue, l’histoire et la littérature. Alors que l’orientalisme européen se reconfigure après la découverte du sanskrit, Silvestre de Sacy trouve en France, où l’enseignement de la langue arabe s’est sécularisé, les conditions propices au renouvellement de la philologie orientaliste qu’il détache de la théologie.

À partir de 1806, il occupe la chaire de persan créée pour lui au Collège de France* et il ajoute à l’Histoire de la dynastie des Sassanides (1793), traduite de Mîr Khând, l’édition et la traduction du Pend-Namèh (1819). Il ne cesse, par ailleurs, durant plus de cinquante ans, de diffuser dans les revues savantes, françaises et étrangères, un savoir couvrant un espace allant d’al-Andalous à la Chine. Plus de quatre cent cinquante publications ont été répertoriées, parmi lesquelles de nombreux articles et comptes rendus critiques d’ouvrages, parus dans le Journal des savants, le Magasin encyclopédique*, le Journal asiatique*, les Annales des voyages, mais aussi le Repertorium d’Eichhorn, les Mémoires de l’Académie de Goettingue et les Mines de l’Orient. Silvestre de Sacy est également membre de plusieurs sociétés savantes étrangères et il entretient une abondante correspondance scientifique, notamment avec les orientalistes allemands. Goethe lui-même lui rend hommage dans son West-östlicher Divan (1819).

Immense savant, Silvestre de Sacy est aussi un homme de pouvoir, qui concentre entre ses mains la majorité des fonctions de direction de l’institution orientaliste. Premier président de la Société asiatique*, il favorise, durant son mandat  (1822-1829), le clan plus soumis des « littéraires » au détriment de celui des « savants plus sérieux » (Société asiatique, Livre du centenaire, 1822-1922, Geuthner, 1922, p. 15). Administrateur du Collège de France (1823-1838) et de l’École des langues orientales (1824-1838), il devient, à partir de 1833, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions, conservateur des manuscrits orientaux à la Bibliothèque royale et inspecteur des types orientaux de l’Imprimerie royale. Son influence est telle qu’il décide pratiquement des nominations et de l’évolution de l’institution. Ainsi, sur sa proposition, Gabriel Taouil* est nommé à la chaire d’arabe vulgaire créée à Marseille, en 1806, et Louis Jacques Bresnier* à la chaire publique d’arabe fondée à Alger, en 1836 ; il envoie Demange et Charmoy* à Saint-Pétersbourg, en 1817, pour répondre à la demande du comte Ouvarov désireux d’accueillir des professeurs d’arabe et de persan. En 1814, il obtient la création au Collège de France des chaires de chinois et de sanskrit, la première étant attribuée à Abel-Rémusat* et la seconde à Antoine-Léonard de Chézy*, tandis qu’à l’École des langues orientales, est inauguré, sous son impulsion, en 1828, un cours d’hindoustani, confié à Garcin de Tassy*. Le rôle de Silvestre de Sacy s’étend au-delà des domaines de l’enseignement et de l’érudition. Il est aussi l’orientaliste du ministère des Affaires étrangères, responsable d’abord de la traduction des Bulletins de la Grande armée et du Manifeste de 1806, destiné aux musulmans de l’Empire russe, puis de la révision de version arabe de la proclamation aux Algériens du comte de Bourmont, en 1830. Il cumule les honneurs : membre du corps législatif de 1808 à 1814, il est fait baron à la fin de l’Empire et pair de France, en 1832.

Au terme d’une carrière poursuivie jusqu’au dernier souffle, Silvestre de Sacy apparaît comme le fondateur d’une école dont l’influence déborde largement les frontières françaises. Pendant plus de quarante ans, dans Paris devenu « La Mecque des orientalistes »,  il forme à une philologie classicisante une génération entière de savants. Aux noms déjà cités, ajoutons, parmi bien d’autres, ceux de Reinaud*, qui lui succède à l’École des langues orientales, de Slane*, Quatremère*, Kazimirski*, Mohl* … Bien des étrangers suivent aussi l’enseignement du maître, en particulier des Allemands, dont le nombre est si important que les chaires de langues orientales des universités d’Outre-Rhin sont presque toutes occupées, dans la première moitié du XIXe siècle, par des anciens élèves de l’orientaliste français, parmi lesquels : Fleischer, Freytag, Bopp, Ewald, Kosegarten…

Au début du XIXe siècle, Silvestre de Sacy préside ainsi à la naissance d’un nouvel orientalisme qui s’éloigne des anciennes études bibliques et il porte alors la connaissance de l’Orient à un degré inégalé.

Sylvette Larzul

Centenaire de Silvestre de Sacy, comptes rendus des séances de l’année 1938, AIBL, 1938. DEHÉRAIN Henri, Silvestre de Sacy et ses correspondants, 1919. –, Silvestre de Sacy, ses contemporains et ses disciples, 1938. ESPAGNE Michel, « Silvestre de Sacy et les orientalistes allemands », in Revue germanique internationale, 7, 2008, p. 79-91 (http://rgi.revues.org/398 ; consulté le 13 août 2012). ESPAGNE Michel, LAFI Nora et RABAULT-FEUERHAHN Pascale (éds), Silvestre de Sacy, Paris, éd. du Cerf, à paraître (actes du colloque tenu à Paris en octobre 2010). FÜCK Johann, Die Arabischen Studien in Europa bis in den Anfang des 20. Jahrhunderts, Leipzig, 1955, p. 150-157. REINAUD Joseph, « Notice historique et littéraire sur M. le baron Silvestre de Sacy », JA, t. VI, 1838, p. 113-195. SALMON George, Silvestre de Sacy (1758-1838), précédé d'une biographie par M. Hartwig Derenbourg, Le Caire, IFAO, Bibliothèque des arabisants français, 2 vol., 1905 et 1923. AT-TAHTÂWÎ Rifâ‘a, L’or de Paris. Relation de voyage. 1826-1831 (trad. Anouar LOUCA), Sindbad, 1988, pp. 129-130 et 216-219.



haut de page