(Delémont, Jura suisse, 1803 – Camblanes-Meynac, Gironde, 1871)
Officier de cavalerie, diffuseur d’un savoir pré-ethnographique sur l’Algérie des premiers temps de la conquête.
Parce qu’il manifestait une tendance à la « débauche », son père, général de l’Empire, lui fait interrompre ses études de médecine à Paris et l’enjoint à s’engager dans l’armée (1822). Détaché à l’École de cavalerie de Saumur (1829), il rejoint en Algérie les chasseurs d’Afrique (1835). Déjà arabisant, il est envoyé comme consul auprès d’Abd el-Kader* à Mascara après la paix de la Tafna (1837). Il fait preuve dans cette fonction de talents d’observateur, et améliore sa connaissance des mœurs arabes (G. Yver, Correspondance du capitaine Daumas, consul à Mascara, 1837-39, 1912). Reprenant du service dans la province d’Oran puis, après l’arrivée de Bugeaud, au gouvernorat général d’Alger (1841), il contribue à mettre en place une formule d’administration indirecte, adaptée aux zones tribales sous autorité militaire : les « bureaux arabes », qui s’appuient sur de solides enquêtes et un pouvoir relié par des supplétifs indigènes. Il va ainsi donner des écrits de synthèse, vade-mecum sociologique appelés à devenir des publications officielles ou quasi : Le Sahara algérien, étude géographique (1845) ; La Grande Kabylie et, avec Ausone de Chancel, Le Grand désert (1848). D’autres suivront.
Démissionnaire après le départ de Bugeaud, son protecteur et allié dont, passé colonel, il a épousé une cousine, Catherine Mac-Carthy (1847) – ce qui l’apparente aussi à de Slane* –, il est envoyé en janvier 1848 auprès d’Abd el-Kader*, prisonnier au fort Lamalgue de Toulon, pour lui faire accepter le refus du gouvernement de le laisser s’installer en Orient. Il demeure auprès de lui jusqu’à la fin avril, lorsque l’émir est assigné à résidence au château de Pau (Reyniers, « Sept lettres inédites du colonel Daumas… », Revue Africaine, 1955). Après quelques mois en Algérie, il se fixe définitivement à Paris où il obtient en 1850, avec le grade de général, la direction du service de l’Algérie au ministère de la Guerre. Il se rallie sans difficulté à l’Empire, qu’il sert comme conseiller d’État (1852) puis comme sénateur (1857). Ayant quitté les affaires algériennes après la mise en place d’un ministère de l’Algérie en 1858, et repris un commandement militaire en métropole, il achève sa carrière à Bordeaux, avant de se retirer dans un domaine qu’il possède dans les environs.
En plus d’innombrables articles dans des revues, on lui doit une série d’ouvrages sur l’Algérie chez des éditeurs dynamiques : Chaix, Michel Lévy et surtout Hachette qui publie en format portatif, dans sa toute nouvelle bibliothèque des chemins de fer, Mœurs et coutumes de l’Algérie : Tell, Kabylie, Sahara (1853). À la fois instructifs et amusants, avec un découpage qui permet une lecture intermittente, ces ouvrages, dont la diffusion est appuyée par des subventions de l’État qui en dotent bibliothèques et administrations, connaissent auprès du public un succès qui leur vaut rééditions et parfois traductions. Dans cette ligne, on peut citer les “Formules de la civilité arabe” (1854, en annexe à la Grammaire arabe (idiome d’Algérie) d’Alexandre Bellemare) ou, plus tardivement, La vie arabe et la société musulmane (1869) et La femme arabe (publication posthume dans la Revue Africaine*, 1912).
Affirmant vouloir surtout offrir une documentation constituée non sur la base de publications savantes, mais sur le terrain, « avec des bibliothèques humaines, assez difficiles à feuilleter », Daumas laisse affleurer sous son texte l’expression arabe, pour « vulgariser l’arabe parlé selon le génie spécial de la langue ». C’est spécialement le cas avec ses Chevaux du Sahara (1851), où il fait ainsi une large place à des « opinions », dûment transcrites, de l’émir Abd el-Kader. L’ouvrage connaît de multiples rééditions, chaque fois augmentées (Dialogues sur l’hippologie arabe, Actes Sud, 2008). Ce souci sincère de réaliser une œuvre « en collaboration avec le peuple arabe tout entier » fait sa richesse et justifie, en dépit d’une position colonialiste sans états d’âme, de nombreuses republications contemporaines.
Fort de son expérience du terrain algérien comme de la sphère politique métropolitaine, Daumas semble adopter une ligne pragmatique, proche des ambitions algériennes des gouvernements qu’il sert, mais poussant prudemment, en dialogue avec Ismaÿl Urbain*, qui lui reproche seulement de « monopoliser toute l’Algérie arabe à son profit », vers « une autre colonisation de l’Algérie » (selon la formule de Michel Levallois), plus respectueuse des sociétés en place : un gouvernement où le pouvoir militaire s’associerait volontiers les aristocraties tribales, pour les contrôler autant que pour les protéger des appétits grandissants des colonistes. Il plaidera ainsi pour la libération de l’émir et se ralliera à la politique du « royaume arabe », prônée un temps par Napoléon III, où Abd el-Kader aurait pu occuper un magistère plus large.
Alain Messaoudi et François Pouillon
Notice in Hommes et Destins II (X. Yacono). FRÉMEAUX Jacques, Les Bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Denoël, 1993. LEVALLOIS Michel, Ismaÿl urbain. Royaume arabe ou Algérie franco-musulmane (1848-1870), Riveneuve, 2012.