(Ruelle, Charente, 1864 – Paris, 1957)
Écrivain et voyageur.
Ce neveu de Taine (qui veilla sur son éducation et dont le déterminisme exerça sur lui une influence considérable – il lui consacrera en retour deux ouvrages), qui passe une partie de son enfance en Angleterre, avant de rallier à Paris l’École alsacienne et le lycée Louis-le-Grand, fut d’abord un spécialiste de la culture anglaise (Agrégation d’anglais en 1887, puis en 1892 thèse de doctorat sur Sydney Smith et la Renaissance des idées libérales en Angleterre au XIXe siècle) ; il consacre à Kipling des essais et une biographie (1936). Après avoir démissionné de l’enseignement supérieur en 1894, il voyage en Orient, et en tire la matière de nombreux articles (dans L’Illustration, Le Figaro, La Revue de Paris, Le Journal des Débats, la Revue des Deux Mondes) et de livres qui vont lui faire mériter la Légion d’honneur et l’élection à l’Académie française. Citons : Dans L’Inde (1891) à la suite d’un premier voyage effectué en 1888 ; Terres mortes (1897 ; rééd. Phébus, 2002) après deux séjours au Proche-Orient (Palestine, Syrie, Égypte) en 1892 puis 1895-96 ; Sanctuaires et paysages d’Asie (1905) suite à un voyage en Inde et Birmanie en 1902 ; Un Crépuscule d’Islam (1906 ; rééd. Casablanca, Eddif, 1999) et Marrakech dans les palmes (1919 ; rééd. Edisud, 2002), sur le Maroc ; Les Puritains du désert (1927), sur le Mzab algérien ; Visions du Maroc (1933) enfin.
Le monde de Chevrillon est essentiellement morbide : l’Égypte, avec son architecture funèbre et ses paysages sinistres, incarne parfaitement la pulsion religieuse autour de laquelle s’organise l’histoire d’une humanité « somnambule » (Terres mortes, p. 274). Si, en Occident, l’individualisme masque cette vérité, elle éclate en Orient, avec ces « états extrêmes que, de Fès à Calcutta, l’Oriental recherche et qu’il juge d’espèce divine » (p. 204). Chacune de ces incarnations du « rêve religieux » de l’humanité est prise en charge par des « races », des « types » civilisationnels, lesquels sont « les vrais individus de l’histoire, les grandes puissances durables qui déterminent les formes de l’homme » (Un Crépuscule d’islam, p. 189). L’Occident qui a privilégié l’individu a donc besoin des leçons d’un Orient qu’il doit tirer de sa léthargie morbide, mais sans le séparer de son essence. Jean-François Durand, qui préface plusieurs rééditions contemporaines, émet l’hypothèse que Lyautey* a trouvé là le sens de son projet colonial.
Le goût pour la pose, la complaisance, le psittacisme qui se dissimule derrière une prose qui se voudrait profonde et originale, l’affectation de gravité, auxquels vient s’ajouter une vision de l’Histoire centrée sur les relations entre les races : l’ensemble explique le succès d’une œuvre qui ne peut plus être perçue aujourd’hui que comme l’accomplissement des normes esthétiques et idéologiques d’une époque – autant de critères qui, selon Jean-Louis Cabanès, définissent un « texte nul ».
Guy Barthèlemy