Cette notice remplace celle qui a figuré dans une précédente édition.
(Le Caire, 1868 – Paris, 1949)
Auteur d’une célèbre traduction des Mille et une nuits, Joseph-Charles Mardrus naît en Égypte dans une famille de protégés français d’origine caucasienne. C’est à Beyrouth chez les jésuites qu’il fait ses études secondaires à partir de 1878. Brillant élève, il manifeste de réelles dispositions pour le français, mais il maîtrise assez mal l’arabe classique, en dépit d’une bonne connaissance de la langue vernaculaire. Après le baccalauréat, il entame dans la même institution libanaise des études de médecine qu’il achève en France de 1892 à 1894. Il aurait été alors admis dans le salon de Mallarmé* (1842-1898), dont il était un fervent admirateur et auquel il dédia l’ensemble de sa traduction. Pourtant, s’il le rencontra effectivement en 1897 à Valvins (Michel Jarrety, Paul Valéry, 2008, p. 226-227), il semble qu’il se contentât surtout d’échanger quelques lettres avec lui (Bourrelier, p. 1027 et Mallarmé, Correspondance, IX, p. 206 et 337). Il n’en fréquenta pas moins dès cette époque les milieux littéraires, faisant la connaissance notamment de Huysmans, Gide et Valéry. Ce n’est qu’en 1899 qu’il se fixe définitivement à Paris, ayant d’abord exercé durant cinq ans son métier de médecin au service la Compagnie des messageries maritimes et découvert ainsi le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est. Le début de son travail de traduction des Mille et une nuits remonte à cette époque. Dès la publication des premiers volumes par la Revue blanche en 1899, il dispose de revenus suffisants pour se mettre en disponibilité. Il jouit d’un grand prestige dans les cercles littéraires parisiens et est admis au Pavillon des muses chez Robert de Montesquieu et à l’Arsenal chez José-Maria de Heredia. En 1900, il épouse la jeune poétesse Lucie Delarue* et en 1902 s’installe à Auteuil. C’est là qu’il achève sa traduction, dont la publication se clôt en 1904. Beaucoup de ses volumes ont pour dédicataires des collaborateurs de la Revue blanche, comme José-Maria de Heredia, André Gide*, Henri de Régnier, Pierre Louÿs*, Félix Fénéon.
Mardrus entreprend ensuite jusqu’en 1911 une série de voyages au Maghreb, en Turquie et en Égypte en compagnie de sa femme, avec laquelle il rompt en 1915. Après la guerre, il s’intéresse au mysticisme et se consacre à de nouvelles publications qu’il nomme « traductions ». Il compose une histoire légendaire de La reine de Saba (1918) et donne de nouveaux contes orientaux, tels l’Histoire charmante de l’adolescente Sucre d’Amour (1927) ; il puise toutefois davantage son inspiration dans les textes sacrés et publie des extraits choisis de la Bible et du Coran : Le Cantique des cantiques (1925) ou Le Paradis musulman (1930), par exemple. Des textes funéraires de l’Égypte antique, il tire Le Livre de la Vérité de Parole (1929).
Alors que de nouvelles traductions des Mille et une nuits voient le jour au cours du XIXesiècle dans plusieurs langues européennes, la France ne connaît toujours que la version Galland*, authentique chef-d’œuvre classique qui n’est plus guère apprécié. Malgré l’existence de la version de Trébutien* parue en 1828, une nouvelle traduction est attendue. Le Livre des Mille Nuits et Une Nuit, traduction littérale et complète […] par le Dr J.-C. Mardrus, suscite la plus vive admiration dans les milieux littéraires et est louée par de grands écrivains comme Gide. Les sérieuses réserves émises par de savants arabisants ne sont pas entendues. La version Mardrus est traduite en anglais (1923), en espagnol (1916), partiellement en polonais et devient la plus lue en Europe. Elle connaît un impact immédiat : les vers du Livre de Schéhérazade de Tristan Klingsor sont mis en musique par Maurice Ravel*, l’année même de leur parution, en 1903. Les Ballets russes de Diaghilev offrent en 1910 une Shéhérazade dans des décors signés de Baskt. Paris connaît des fêtes arabes dont la « Mille et deuxième nuit » du couturier et décorateur Paul Poiret constitue l’apothéose en 1911. Au-delà de cette influence directe, il n’est pas douteux que la version Mardrus a largement contribué au développement du mythe des Mille et une nuits.
Une comparaison du texte-cible avec les originaux arabes montre que les Alf layla wa-layla (« Mille et une nuits ») y subissent une mutation tout aussi considérable que dans la « belle infidèle » de Galland. Le traducteur ne se contente nullement de la matière fournie par les éditions des Nuits, mais il puise dans d’autres textes, notamment des recueils en français de contes arabes (Artin-Pacha, Spitta-Bey) et hindoustanis (Garcin de Tassy*). Les originaux sont traités pour produire une forte coloration exotique et érotique ainsi qu’un aspect burlesque. Le texte est saturé d’emprunts, de calques, de gauchissements lexicaux et renferme un grand nombre d’expansions et d’interpolations qui s’allongent quand les récits sont absents de la version Galland. Mardrus fournit, pour « les lettrés et les artistes » auxquels il destine son ouvrage, une version des Mille et une nuits conforme au goût « fin de siècle » et à l’image dominante de l’Orient en son temps.
Sylvette Larzul
Le Livre des Mille Nuit et Une Nuit. Traduction littérale et complète du texte arabe par le Dr. J.-C. Mardrus, éd. de la Revue Blanche (Tomes I à XI) et Fasquelle (Tomes XII à XVI), 1899-1904 ; éd. illustrée (par Léon Carré et Mohammed Racim), H. Piazza, 1926-1929. 12 vol. ; éd. courante, Robert Laffont (coll. Bouquins), 1980.
ABUL-HUSSEIN Hiam et PELLAT Charles, Chéhérazade, personnage littéraire, Alger, SNED, 2e éd. 1981. BOURRELIER Paul-Henri, La Revue Blanche : une génération dans l’engagement, 1890-1905, Fayard, 2007. DELARUE-MARDRUS Lucie, Mes Mémoires, Gallimard, 1938. JULLIEN Dominique, Les amoureux de Schéhérazade : variations modernes sur les Mille et une nuits, Genève, Droz, 2009. LARZUL Sylvette, Les traductions françaises des Mille et une nuits : étude des versions Galland, Trébutien et Mardrus, L’Harmattan, 1996. PAULVÉ Dominique et CHESNAIS Marion, Les Mille et Une Nuits et les enchantements du Docteur Mardrus, Paris, Musée du Montparnasse/Éditions Norma, 2004.