Cette notice remplace celle qui a figuré dans une précédente édition.
(Paris, 1625 – Paris, 1695)
L’un des fondateurs de l’orientalisme, auteur de la Bibliothèque orientale, parue en 1697, dont l’influence reste considérable en Europe jusqu’au XIXe siècle.
Né à Paris, d’Herbelot y poursuit « ses études d’humanités et de philosophie sous les plus célèbres professeurs de l’Université » (Cousin, « Éloge », in Bibliothèque). Durant un temps, il aurait été jésuite à Lyon et très lié au père Dominique Bouhours. Il se consacre à l’étude des langues orientales pour accéder aux textes bibliques et il joint bientôt à la connaissance de l’hébreu, du syriaque et du chaldéen, celle de l’arabe, du turc et du persan. En 1655, il se rend en Italie, voulant entrer en relation avec des Arméniens et d’autres Orientaux pour se perfectionner dans leurs langues. Il rencontre, à Rome, Jean Thévenot* qu’il voudrait accompagner au Levant, mais, en définitive, il ne quitte pas la péninsule. Durant ce premier séjour en Italie, il se lie avec l’humaniste hollandais, Lucas Holstein, bibliothécaire du pape, et l’helléniste Leo Allatius. En 1656, il revient en France en compagnie du cardinal Grimaldi, qui l’envoie d’Aix à Marseille pour accueillir la reine Christine de Suède. À Paris, le surintendant des Finances, Fouquet, l’attache à sa maison et le gratifie d’une pension de mille cinq cents livres. Dans cet entourage, il rencontre La Fontaine*, auquel il aurait peut-être fourni, de vive voix, la matière de quelques-unes de ses Fables (Robert, A. C. M., Fables inédites, 1825, I, CCXXII-CCXXIII). Après la disgrâce de son protecteur en 1661, il est nommé « Secrétaire-interprète du Roy pour les langues orientales ». Il remplit cette charge pendant quelques années, puis repart pour l’Italie. Il rencontre, à Livourne, le grand-duc de Toscane Ferdinand II, qui le reçoit avec les plus grands honneurs à Florence, à partir du 2 juillet 1666. Il est chargé du catalogage des manuscrits orientaux ainsi que des nouvelles acquisitions de la bibliothèque palatine. Le grand-duc lui fait don d’une collection de près de deux cents volumes, surtout arabes et persans et, dès cette époque, il accumule les matériaux nécessaires à l’élaboration de la Bibliothèque orientale, dont il commence le travail en arabe. Ayant acquis une grande renommée, il est rappelé en France par Colbert, sans doute en 1667, mais ne serait rentré qu’en 1670, quand la générosité des Médicis à son endroit eût faibli (Dew, p. 62-76). À Paris, il se voit octroyer une pension royale de mille cinq cents livres. Barthélemi d’Herbelot vit en compagnie de son frère cadet Edme et reçoit volontiers les Orientaux de passage. L’érudit fait établir, pour son usage personnel, une copie du dictionnaire bibliographique de Hâjjî Khalîfa, l’une des principales sources de la Bibliothèque. Colbert veut faire imprimer l’ouvrage au Louvre avec des caractères arabes que l’on ferait fondre exprès, ceux de Savary de Brèves* ayant disparu. Le décès du ministre, en 1683, met fin au projet, et la Bibliothèque paraît en français. Avec l’abbé Eusèbe Renaudot*, le savant révise et complète les notices du catalogue des manuscrits orientaux de la Bibliothèque du roi (Catalogue Nicolas Clément de 1682). Parallèlement, il se rapproche des mauristes de Saint-Germain-des-Prés, qui pratiquent la philologie humaniste et cultivent l’érudition catholique. D’Herbelot a aussi sa propre « académie » : en 1691, parmi les assemblées savantes qui se réunissent dans la capitale, on compte « celle qui se tient sur les Fossez de M. le Prince, chez le sage et savant Ulysse M. d’Herbelot » (Nicaise, Les sirènes, 1691, p. 12). En 1692, d’Herbelot est nommé à la première chaire spécifique de syriaque, créée par Louis XIV, au Collège royal* ; il l’occupe jusqu’à sa mort, en décembre 1695. À cette date, l’impression de la Bibliothèque orientale n’est pas terminée. Antoine Galland* est chargé de veiller à son achèvement et signe le « Discours pour servir de préface ». L’ouvrage paraît en février 1697. D’Herbelot réunit dans une Anthologie, non publiée et perdue, les matériaux qui ne trouvent pas de place dans la Bibliothèque ; il compose aussi un remarquable Dictionnaire arabe, persan, turc, expliqué en latin (BNF, mss. arabes 4844-4849), demeuré à l’état de manuscrit ; d’abord propriété de la famille de d’Herbelot, il figure, de 1720 à 1796, dans la collection des mauristes, avant d’entrer à la Bibliothèque nationale, avec ses autres manuscrits.
La Bibliothèque orientale ou dictionnaire universel contenant généralement tout ce qui regarde la connaissance des peuples de l’Orient est exclusivement fondée sur des sources orientales - arabes, persanes et turques -, nombreuses et le plus souvent d’époque tardive. À côté des brèves notices bibliographiques tirées du dictionnaire de Hâjjî Khalîfa, les articles les plus importants sont consacrés à la religion et à l’histoire dynastique. L’espace embrassé par l’ouvrage est celui de l’Orient arabo-musulman, duquel les chrétiens ne sont d’ailleurs pas exclus. Basée sur des traductions originales, la Bibliothèque suit le point de vue de ses sources, sauf quand il est question de l’islam et de son Prophète, systématiquement qualifié de « faux » et d’« imposteur ». L’orientaliste conserve aussi nombre d’anecdotes, qui donnent à cette « première Encyclopédie de l’Islam* » le caractère plaisant des contes. Le mérite de d’Herbelot est de fournir une somme de connaissances de première main sur l’Orient arabo-musulman, tant dans sa dimension profane que religieuse. La Bibliothèque orientale, qui ne rencontre que peu d’écho en France lors de sa parution, jouit d’un succès plus franc à l’étranger, notamment en Hollande, et l’édition originale est épuisée en 1714. Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, l’ouvrage est réédité, d’abord à Maastricht, en 1776, puis à la Haye, en 1777, avec un Supplément de Visdelou, sur la Tartarie et la Chine (1779). Des éditions postérieures comportent des corrections et des additions dues à H. A. Schultens et à J. J. Reiske. À Paris, Desessarts donne, en 1781-1783, un abrégé de Bibliothèque à l’usage des gens du monde, ôtant notamment du texte les notices bibliographiques tirées de Hâjjî Khalîfa. Une traduction allemande paraît en 1785-1790. Durant près d’un siècle et demi, la Bibliothèque orientale exerce une influence considérable, tant en France que dans les pays voisins, en Allemagne et en Angleterre notamment. Certaines informations sont reprises dans l’Encyclopédie. L’Anglais George Sale s’appuie à plusieurs reprises sur le travail de d’Herbelot dans son Preliminary Discourse, comme dans les notes de sa traduction du Coran (1734). Les écrivains du siècle des Lumières en tirent l’essentiel de leur connaissance de l’Orient. L’utilisation qu’en fait Voltaire*, dans Zadig (1748) ou de l’Essai sur les mœurs (1756) par exemple, est connue. La Bibliothèque orientale est aussi considérée comme l’une des sources du Vathek (1782) de Beckford*. Au début du XIXe siècle, elle suscite toujours beaucoup d’intérêt, entre autres chez Goethe. En France, le savoir de l’orientaliste du XVIIe siècle alimente l’imaginaire de Lamartine*, de Hugo* et de Nerval*. La Bibliothèque orientale est cependant dépassée au cours du XIXe siècle par les travaux de l’école orientaliste fondée par Silvestre de Sacy*.
Sylvette Larzul
ABDEL-HALIM Mohamed, Antoine Galland : sa vie et son œuvre, 1964. BARRET-KRIEGEL Blandine, Jean Mabillon, PUF, 1988. DEW Nicholas, Orientalism in Louis XIV’s France, Oxford, Oxford University Press, 2009. GAULMIER Jean, « À la découverte du Proche Orient : Barthélemi d’Herbelot et sa Bibliothèque orientale », Bulletin de la faculté des Lettres de Strasbourg, oct. 1969. GOUJET Claude-Pierre (abbé), Mémoire historique et littéraire sur le Collège royal de France, 1758 ; rééd. Genève, Slatkine reprints, 1971, p. 395-398. LAURENS Henry, Aux sources de l’orientalisme, La Bibliothèque orientale de Barthélemi d’Herbelot, Maisonneuve et Larose, 1978. RICHARD Francis, « Le dictionnaire de d’Herbelot », in Istanbul et les langues orientales, actes du colloque IFEA et INALCO, Istanbul, 29-31 mai 1995, L’Harmattan, 1997.