KELEKIAN Dikran Garabed dit Dikran Khan

Cette notice remplace celle qui a figuré dans une précédente édition.

(Kayseri, 1868 – New-York, 1951)

Marchand et collectionneur d’art islamique et moderne à Constantinople, Paris et New York. Issu d’une famille de banquiers arméniens installés à Kayseri mais originaires de Perse, Kelekian fait partie avec Hagop Kevorkian du milieu des marchands arméniens qui, occupant une position d’intermédiaires entre Orient et Occident, introduisent des objets orientaux sur le marché de l’art en Europe et en Amérique.

Dikran Kelekian débute sa carrière à Constantinople avec son frère Kevork. Il ouvre ensuite une galerie à Paris (1891) et présente des pièces à l’Exposition universelle de Chicago (1893) qui lance sa carrière américaine. Peu de temps après, il ouvre une autre galerie à New York, le Musée du Bosphore. Il devient le fournisseur des grands collectionneurs (Isabella Stuart Gardner, Henry Walters, George Blumenthal, les Havemayer) et se lie d’amitié avec les personnalités du monde de l’art. En 1902, Kelekian est élevé au titre de khan et nommé Consul de Perse à New York par le Shah et sa galerie devient le siège du Consulat. Membre de jury de l’Exposition universelle de 1900, il est aussi commissaire général de l’Empire perse à la Louisiana Purchase Exposition de Saint Louis (1904).

Par l’intermédiaire de son frère, il entreprend des fouilles clandestines en Perse, à Rayy (1885), Raqqa (1896) puis Sultanabad et Varamin (1905). Il introduit alors sur le marché parisien des céramiques et des tissus turcs et persans, ses domaines de prédilection. À Paris, puis à New York, il fait le goût. Sa collection personnelle est réputée ; présentée à l’exposition des arts musulmans de 1903, elle domine en quantité toutes les autres. Dès lors, sa contribution aux grandes expositions internationales sera constante : textiles et tapis aux Arts Décoratifs (1907), à l’Exposition de Munich (1910), à la Burlington House (1931), céramiques en prêt au Victoria and Albert (1910-1951), sans compter les expositions personnelles dans les grands musées (Metropolitan Museum, 1909) ou dans ses galeries à Paris, Istanbul, Londres ou Le Caire.

Sa participation aux expositions marque l’ambiguïté de son statut de collectionneur-marchand. Cette dualité se prolonge dans une série de publications plaçant sa collection à mi-chemin entre la sphère intime ou commerciale et le domaine public et résume l’interaction entre les marchands comme Demotte, Vignier et Kévorkian, les collectionneurs comme Koechlin* ou Marteau*, les experts comme Migeon* qui publie avec Jules Guiffrey la collection Kelekian : étoffes et tapis d’Orient et de Venise, (1908). Kelekian est l’auteur de Potteries of Persia, Being a Brief History of the Arts of Ceramics in the Near East (1909). Il conforte sa position de force en faisant des dons aux musées au Louvre (1903, 1906, 1907, 1909, 1927), mais aussi au Musée arabe du Caire (1912) ou au Metropolitan Museum. Dans The Kelekian Collection of Persian and Analogous Potteries, 1885-1910 (1910), Kelekian affirme ses prises de position esthétiques. Pour lui, l’art persan est précurseur de l’art d’avant-garde dont il est un ardent défenseur. À côté de l’art copte, paléochrétien ou persan, sa galerie assure la promotion de Matisse*, Rouault, Derain ou Picasso en Amérique.

Ses publications en anglais à Paris illustrent une autre ambiguïté du marché alors centré sur la capitale française mais qui tend à se reporter vers l’Amérique. Kelekian présent sur trois continents y acquiert une position de leader et de tastemarker et fait passer les collections européennes en Amérique notamment celle du joaillier Henri Vever, aujourd’hui conservée à la Freer Gallery à Washington. Après la Seconde Guerre mondiale, Kelekian, qui a opté pour la citoyenneté américaine, est surnommé « the Dean of Antiquities », tandis qu’en France, « l’École de Paris » lui rend hommage par une exposition de vingt et un portraits à la Galerie Durand Ruel (1944).

Son fils Charles Dikran Kelekian (1900-1982) prend la succession, puis la « Maison Kelekian » est maintenue par sa petite-fille Nanette jusqu’en 1990. Les ventes Kelekian de 1953 et 2001 ont été des événements du marché de l’art. Alors que la dispersion de sa collection fait disparaître son œuvre, elle a fait réapparaître le personnage « qui associe les qualités d’un satrape persan, (…) d’archange, de Gengis Khan et du Chevalier Bayard, de Thor, dieu de la foudre et de St François d’Assise » (1953).

Jean-Gabriel Leturcq

HYAM L. A., The Dikran Kelekian Collection. Near Eastern Art Including the Celebrated Collection of Antique Textiles. Parts One [and] Two, New York, 1953. LABRUSSE R., « Paris, capitale de l’art de l’Islam. Quelques aperçus sur la formation des collections françaises d’art islamique au tournant du siècle », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 1997.



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