(Paris, 1913 – Sézanne, Marne, 2011)
Égyptologue.
Issue d’une famille bourgeoise, Christiane Desroches Noblecourt découvre l’égyptologie en lisant dans l’Illustration en 1922 la relation de découverte de la tombe de Toutankhamon par Howard Carter. Elle suit les cours d’égyptologie de l’abbé Drioton* à l’École du Louvre, de Gustave Lefebvre à l’EPHE, de Pierre Lacau* au Collège de France. Entrée en 1934 comme chargée de mission au département des antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, elle est en 1938 pensionnaire à l’IFAO* du Caire. Rentrée à Paris en 1940 pour participer au déménagement du musée en zone libre, elle est impliquée dans le réseau « Résistance » de Jean Cassou, directeur du musée d’art moderne. Elle restera au département des antiquités égyptiennes du Louvre (1948-1982) et au laboratoire du CNRS qui lui est attaché (1970-1984). Conservateur honoraire, elle reçoit les honneurs de la République (Grande Croix de la Légion d’honneur, 2008, médaille d’or du CNRS, 1975, Grande médaille d’argent de l’Unesco, Médaille de la Résistance, Officier de l’Ordre du mérite) et de l’Égypte (Grand Officier de l'ordre de la Libération).
La carrière de Christiane Desroches Noblecourt se fait à jonction du milieu parisien et de son terrain égyptien pour lequel elle montre un attachement militant. Première femme pensionnaire de l’IFAO en 1938, elle opère une petite révolution dans le milieu exclusivement masculin de l’égyptologie. En 1954, alors que les étrangers sont interdits de fouille, elle est rappelée au Caire comme experte de l’Unesco pour créer le Centre d’Études et de documentation de l’ancienne Égypte (CEDAE) avec Mustafa Amer et Ahmed Badawi. Confrontés au projet de construction du grand barrage d’Assouan qui conduit à la noyade programmée de 24 temples sous les eaux du lac Nasser, les trois égyptologues décident de porter les activités du centre sur ces temples, en particulier Abou Simbel. Dès 1954, l’Unesco est alertée, mais les événements de 1956 interrompent les travaux. Alors que les étrangers sont expulsés, Christiane Desroches Noblecourt est rappelée par les autorités égyptiennes. La Campagne de sauvetage des monuments de Nubie commence en 1959 après la nomination de Tharwat Okasha* au ministère de la Culture égyptienne et l’accession de René Maheu (1905-1975) au directorat de l’Unesco. Elle en est un des rouages les plus importants. Contre l’avis de sa hiérarchie, elle engage la France dans le sauvetage du temple d’Amada qui sera découpé d’un seul bloc et transporté sur des rails une centaine de mètres plus haut. Elle marque son opposition à la découpe des temples d’Abou Simbel préférant les options utopiques d’élévation en un seul bloc. L’égyptologue met ainsi en pratique l’un des aspects les plus originaux de sa pensée (Le style égyptien, 1946) et largement admis aujourd’hui : les monuments de l’Égypte pharaoniques sont indissociables du contexte environnemental et paysager auxquels ils appartiennent. Publiant une centaine d’articles dans la presse généraliste en France et en Égypte dans les années 1960, elle va déployer une immense énergie pour populariser la cause des monuments égyptiens : ses interventions portent un souffle épique qui passionne le public. L’Unesco transformera cette épopée en mythe fondateur de la convention pour la protection du patrimoine mondial (1972).
L’égyptologue organise en France des expositions retentissantes. L’ensemble du trésor funéraire de Toutankhamon (Paris, Petit Palais, 1967) attire plus d’un million de visiteurs et l’exposition devient le modèle des expositions blockbusters pour les décennies à venir. Malgré les imbroglios dus aux rivalités internationales entre égyptologues, l’événement scelle la réconciliation entre l’Égypte et la France matérialisée par la création du Centre Franco-Égyptien de Karnak (1967). En 1976, elle réitère l’exploit avec l’exposition Ramsès II (Paris, Grand Palais). La momie du pharaon qui voyage à Paris pour recevoir un traitement spécial en laboratoire contre les champignons dus au contact de l’air moderne, est accueillie avec les honneurs à sa descente de l’avion – signe des temps, la restitution de deux cheveux du pharaon dérobés durant ce séjour créera un incident diplomatique en 2008.
Après son départ en retraite en 1984, elle entreprend de fouiller la Vallée des Reines espérant une découverte qui serait le pendant féminin de celle de Carter. Elle publie une série de best-sellers : Toutankhamon (1999) qui fait suite à Vie et mort d’un pharaon (1963, traduit dans seize langues) ; Ramsès II, la véritable histoire (1996) ; La reine mystérieuse, Hatshepsout (2002) ; La femme au temps des pharaons (1986) ou encore son autobiographie La grande Nubiade (1992) et Le secret des temples de Nubie (1999). Son dernier succès est Le Fabuleux héritage de l’Égypte (2004). Emaillés d’anecdotes, ses écrits pour le grand public témoignent d’un extraordinaire talent de conteuse qui assoit sa légende personnelle en même temps qu’ils contribuent à placer l’Égypte pharaonique dans l’imaginaire collectif contemporain.
Jean-Gabriel Leturcq
Andreu-Lanoë Guillemette, « Christiane Desroches Noblecourt, 1913-2011 », BIFAO, 111, 2011, p. 1-12. - Claude Vandersleyen, La femme dans les civilisations orientales, AoB, 15, 2001, p. XVII-XX.