MIGEON Gaston

Cette notice remplace celle qui a figuré dans une précédente édition.

(Vincennes, 1861 – Paris, 1930)

Conservateur du département des objets d’art du Musée du Louvre.

Introducteur de mondes nouveaux dans les collections nationales, on lui doit la constitution des premières collections d’art chinois, japonais et « musulman ».

Descendant d’une célèbre dynastie d’ébénistes, titulaire d’une licence de droit, il entre comme bibliothécaire et secrétaire à l’École du Louvre en 1889. Attaché au département des objets d’art du musée du Louvre en 1893, il devient conservateur adjoint en 1899 puis conservateur en 1902. En 1923, nommé directeur honoraire des Musées nationaux, il entre au Conseil des musées nationaux.

Par ses liens avec le milieu des amateurs, peintres et collectionneurs – notamment Kœchlin* et Dinet* avec qui il a voyagé dans le Sud algérien (Sac au dos ! France et Algérie, 1893) –, il pallie l’absence de crédits pour les acquisitions d’objets orientaux en suscitant dons qui enrichissent le Louvre tout au long de sa carrière (collections Piet-Lataudrie, Arconati-Visconti, Gonse*, Vever, Delort de Gléon* ou Kelekian*). Il est lui-même donateur (1894, 1908, 1911 et 1912) et lègue sa collection aux musées nationaux (1931).

Également actif dans le domaine des arts décoratifs occidentaux (émaux limousins et bronzes de la Renaissance ou Arts du tissu, 1909 et 1929), Migeon appartient à la seconde génération des spécialistes des « arts industriels » avec qui il partage le goût pour les arts du Japon puis de la Chine archaïque. En 1906, il visite le Japon et publie ses notes sur l’art et la nature dans les Journal des débats (Au Japon, promenades aux sanctuaires de l’art, 1908 ; rééd. Geuthner, 1926). Quand le marché et le goût des amateurs d’art japonais sont saturés, ils se tournent vers l’art chinois. Entrent alors au Louvre les porcelaines de la collection Grandidier, les peintures et les bronzes des collections Chavannes, Camondo et David-Weill.

En 1903, Migeon est l’organisateur d’une exposition « d’art musulman » au pavillon de Marsan (musée des arts décoratifs, Paris), première d’une véritable rigueur scientifique. Les répercussions sur les collections nationales sont essentielles : plus de soixante-quinze objets entrent au Louvre après 1903. Migeon reprend le terme « d’art musulman », employé en premier lieu par G. Marye, conservateur des musées d’Alger, lors de l’exposition de 1893 au Palais de l’Industrie à Paris. Pour Migeon, la notion d’art musulman est celle des pays « soumis à la loi de l’islamisme » et rompt avec celle d’art arabe, persan ou turc, privilégiant ainsi une vision globale sur une vision fragmentaire, raciste, et bientôt nationaliste. Pour lui, l’Islam est d’abord « cet ensemble dont la France est politiquement tutrice en Afrique », même si le Maghreb n’occupe pas une grande place dans sa conception. Prenant le parti contraire de l’exposition de 1893, le pittoresque disparaît au profit du renseignement historique, de la lecture des inscriptions et de la qualité esthétique des objets. Assisté par Clément Huart* et Max Van Berchem*, l’établissement scientifique des jalons de l’histoire d’un art est poursuivi par un classement par matériau. Le catalogue descriptif et le volume de Cent planches d’art musulman (1903) deviennent des guides fondateurs du champ académique de l’« art musulman » et de ses chefs-d’œuvre.

Dès 1904-1905, Migeon esquisse pour la première fois à l’École du Louvre une histoire des arts industriels de l’Islam dont l’épilogue véritable est le Manuel d’art musulman (1907). Après le premier volume d’Henri Saladin* consacré à l’architecture, le second volume est dédié aux « arts plastiques et industriels ». Dans la préface, Migeon dresse un bilan amer du retentissement de l’exposition de 1903. Les outils lui ayant manqué, il s’est employé à en forger un lui-même, avec l’aide de ses amis Huart*, Barbier de Meynard*, Demonbynes, Blochet* ou les collègues étrangers. Il y déplore aussi la faiblesse de l’engagement français sur le terrain de l’archéologie musulmane et lance un appel à exploiter cette jachère scientifique.

Migeon travaille avec la même ardeur à la diffusion des arts de l’Extrême-Orient, mais avec peut-être moins de succès. Ayant largement publié les collections privées et celles du Louvre, il ne fait que traduire L’art en Chine et au Japon de Fenellosa (s.d.) d’autant qu’il existe une Histoire de l’art japonais de Gonse*.

L’œuvre de Gaston Migeon, auteur en outre de très nombreux articles, co-fondateur et rédacteur en chef de la revue Syria (1920-1929), a eu un retentissement considérable. Il est le réel initiateur en France des études d’art islamique. Son Manuel, rectifié dans ses articles et ses « notes d’archéologie musulmane » (Gazette des Beaux-Arts, 1905-1913) et réédité en 1927 est encore utilisé ; l’exposition de 1903 demeure une référence constante des historiens de l’art islamique. Son œuvre, cependant, toute sérieuse et scientifique qu’elle soit n’est pas exempte de certains archaïsmes : sa présentation des objets d’art se fait suivant le principe orientaliste de l’accumulation (de bazar ?) et on peut lui reprocher une tendance à la mystification romanesque (provenance incertaine du gobelet d’Orvieto ou du vase Barberini). Son Manuel pose le problème de l’accès aux connaissances, certains passages sont des traductions intégrales d’Arts of the Saracens in Egypt de Lane-Poole (1886).

L’œuvre de Migeon est très liée aux choix du cercle de collectionneurs, amateurs, critiques, érudits et marchands qui partagent les mêmes goûts pour les arts extra-européens et médiévaux dans un sentiment de continuité formelle. S’intéressant plus aux effets du mélange des arts qu’à leur pureté originelle, ils passent de l’art japonais à l’art musulman, des Primitifs français à l’Art nouveau ou aux avant-gardes, comme si les arts exotiques assuraient une tradition médiatrice aux expérimentations modernes des Monet, Cézanne ou Matisse*. Après la disparition de Migeon et des personnalités du cénacle dont il est la figure charnière, cette conception de l’art musulman disparaît et glisse vers la vision ethnographique des expositions coloniales.

Migeon a su pousser les collectionneurs à imprimer leurs goûts personnels aux collections nationales. En favorisant les études académiques, il a initié le mouvement qui fait qu’aujourd’hui les collections du Louvre et celles des Arts décoratifs constituent une des collections mondiales des plus importantes et des plus reconnues à l’heure où l’art islamique apparaît comme un enjeu politique des musées internationaux.

Jean-Gabriel Leturcq & Sophie Makariou

KŒCHLIN R., Gaston Migeon et le Louvre, notice lue à l’assemblée générale annuelle de la société des amis du Louvre, 1931. LABRUSSE R., « Paris, capitale des arts de l’Islam ? », Bulletin de la Société d’histoire de l’art français, 1998, p. 275-311. MAKARIOU S., « Arabes versus Persans : génie des peuples et histoire des arts de l’Islam », in R. Labrusse (dir.), Purs décors ? Arts de l’Islam, regards du XIXème siècle, Paris, Les Arts décoratifs/Musée du Louvre, 2007.



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