Cette notice remplace celle qui a figuré dans une précédente édition.
(Lyon, 1836 – Fleurieu-sur-Saône, 1918)
Industriel, musicien et fondateur du Musée Guimet.
Son père, Jean-Baptiste, chimiste, est l’inventeur d’un bleu artificiel, bleu outremer (dit bleu Guimet) qui assure la prospérité de l’industrie familiale dans le Lyonnais. En 1860, le jeune Émile Guimet prend la direction de l’usine de Fleurieu dont il hérite en 1871. Malgré ses activités savantes, il ne délaisse pas la firme familiale qui devient Compagnie Pechiney en 1887, dont il est le principal actionnaire et qu’il dirige jusqu’à sa mort.
Patron philanthrope, il crée un fonds pour financer les accidents du travail et les retraites ouvrières, administre de nombreuses écoles professionnelles qu’il visite souvent. Il dirige lui-même la chorale ouvrière de Fleurieu et compose une série de chants populaires et avec laquelle il participe au concours international de chœurs de Dresde en 1865 (Cinq jours à Dresde, 1865). C’est par l’étude de la musique populaire qu’il entre à l’Académie des Sciences et Belles-lettres de Lyon en 1861 (La musique populaire, discours de réception à l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Lyon du 21 décembre1860, 1870). Mélomane averti, critique musical (antiwagnérien) à ses heures (Les théâtres lyriques de province, 1879 ; La sécurité dans les théâtres, 1887), il compose un opéra inspiré d’un événement historique chinois, Tai-Tsoung qui n’est joué qu’une seule fois à Marseille en 1894.
Guimet manifeste très vite un goût pour les voyages, dont il publiera systématiquement les relations qui valent une certaine renommée tant il essaie de comprendre les mœurs contemporaines, avec souvent une certaine naïveté (À travers l’Espagne, lettres familières, 1863, Croquis égyptiens, voyage d’un touriste, 1867 et De l’Ascia des Égyptiens, 1872, L’Orient d’Europe au fusain, 1868, Arabes et Kabyles, pasteurs et agriculteurs, 1873 et Lettres sur l’Algérie, 1877). La découverte de l’Égypte initie les débuts de sa collection ainsi que son étude des mythes anciens et des religions. Guimet voit dans l’étude des objets antiques le moyen d’accéder à la philosophie qui a mené à leur création et par l’étude de toutes les philosophies, le moyen de résoudre les problèmes sociaux contemporains. Recommandé par Ernest Renan*, il devient membre de la Société asiatique. En 1874, il participe à Stockholm au congrès d’anthropologie et d’archéologie préhistorique, et découvre le musée ethnographique de Copenhague. Il en revient avec l’idée d’un musée qui permette d’établir des correspondances entre les différentes religions du monde (Esquisses scandinaves, relation du congrès d’anthropologie et d’archéologie préhistorique, 1875).
Guimet découvre l’Asie en 1876. À l’occasion de l’exposition universelle de Philadelphie, il se rend avec le dessinateur Félix Régamey* au Japon et en Asie, muni d’un ordre de mission du ministère de l’Instruction publique, pour étudier les religions au Japon, en Chine et aux Indes et en rapporter des objets. S’aidant d’une traduction d’un répertoire iconographique du XVIIe siècle, le Butsuzô zui, il rassemble un ensemble cohérent d’images bouddhistes et shintoïstes, ramène trois cents statues, six cents peintures, porcelaines, etc. ainsi qu’un grand nombre d’informations et de textes sur la culture et la religion bouddhiste. Il assiste à des cérémonies dont il analyse les mécanismes rationnellement, comme en chimie. Dans le sud de l’Inde, où il ne passe que huit jours, il fait une description de l’architecture et de la statuaire dans laquelle il pense retrouver une nouvelle Antiquité romaine (Huit jours aux Indes, illustré par Félix Régamey, 1889). La relation de voyage Promenades japonaises (deux volumes, 1878-80), illustrée par Regamey connaît un grand succès et sera présentée à l’Exposition universelle de1878 avec ses collections.
Dès son retour en France, il entreprend de fonder une institution de recherche et de formation sur les religions du monde, principalement d’Extrême-Orient. Sur ses fonds personnels, Guimet fonde le Musée des religions en 1879 à Lyon, inauguré par son ami Jules Ferry. L’institution qu’il conçoit est « laboratoire d’idées » qui doit réunir un musée, une école de langue et une bibliothèque. En 1882, le Musée n’attire ni le public ni les chercheurs et l’école de langues ferme faute d’élèves ; Guimet en chef d’entreprise avisé entreprend de recentrer les activités. Après trois ans de négociations, Guimet obtient la cession d’un terrain près du Trocadéro, l’obtention de fonds publics en échange de ses collections qui deviennent ainsi nationales et que le musée porte son nom perpétuellement. Le nouveau musée Guimet est inauguré à Paris en 1889.
Guimet développe une véritable politique de diffusion des connaissances : des conférences, une publication grand public, Annales du Musée Guimet, Bibliothèque de vulgarisation (1880 devenue Arts asiatiques en 1954) et une revue de spécialisation, la Revue d’histoire des religions, Bibliothèque d’études (1880). Il favorise des expéditions scientifiques, notamment en Égypte où il s’intéresse au culte d’Isis. Il finance les fouilles d’Albert Gayet* à Antinoë (Les fouilles d’Antinoë, 1897) dans le but de découvrir des survivances du culte isiaque à l’époque romaine (L’Isis romaine, 1896). Il organise des célébrations bouddhistes avec des officiants japonais ou des lamas tibétains qui réunissent le Tout-Paris. En 1905, la future Mata Hari se produit dans une danse « shivaïte » effrénée qui lance sa carrière.
Après la guerre de 1914, l’organisation des collections évolue : l’Antiquité classique est reléguée tandis que l’Asie occupe une place prépondérante. Guimet se consacre à la rédaction d’articles d’érudition dans ses domaines de prédilection (Après la guerre, notes d’économie politique, 1915-1916, Les Isiaques de la Gaule, 1916). À sa mort en 1918, Joseph Hackin* prend la direction du musée qui devient musée national en 1929 et perpétue la mission du fondateur : étudier et faire connaître. Dans la restructuration des collections des musées de France en 1945, le Musée échange les arts d’Extrême-Orient du Louvre contre les collections d’Antiquités égyptiennes, moyen-orientales et gréco-romaines (dont le célèbre « Alexandre Guimet »). L’œuvre écrite de Guimet, d’une qualité discutable, est très vite tombée dans l’oubli mais par son « usine scientifique », l’esprit de Guimet, figure marquante et atypique de la IIIe République, a durablement marqué les études orientales et leur diffusion dont il s’est fait le promoteur.
Jean-Gabriel Leturcq
CHAPPUIS F. & MACOUIN F., D’Outremer et d’Orient mystique, les itinéraires d’Émile Guimet, Sindakly, Suilly-La-Tour, 2001. GALLIANO Geneviève (dir.), Un jour, j'achetai une momie. Émile Guimet et l'Égypte antique, Hazan/Musée des Beaux-Arts de Lyon, Paris-Lyon, 2012.