(Le Caire, 1921 – Le Caire, 2012)
Officier, ministre de la Culture et homme de lettres égyptien, il est l’un des initiateurs de la Campagne de Nubie (1959-1980).
Camarade de Gamal Abdel Nasser à l’académie militaire, fils d’officier issu d’un milieu aisé, Okasha est lié aux milieux nationalistes et appartient aussi à la frange marxiste des Officiers libres, proche du MNLP d’Henri Curiel (1914-1978). Après le coup d’État de juillet 1952, il s’en fait rapidement l’historiographe relayé pour le lectorat français par Jean Lacouture. Envoyé comme attaché militaire à Paris (1954-57), il informe Nasser de l’imminence de l’attaque conjointe sur Suez en 1956. Promu comme ambassadeur à Rome (1957-1958), il joue un rôle important dans le soutien égyptien à la révolution algérienne, notamment par le biais du réseau d’Henri Curiel et des communistes égyptiens exilés en Europe. Il s’impose alors comme l’homme de Nasser en charge des relations avec la France. Francophile, il obtient un doctorat en littérature à la Sorbonne (1960) et va œuvrer à la reprise des relations entre les deux pays. Nommé ministre de la Culture et de l’orientation nationale en 1958, Okasha affiche un certain libéralisme qui lui vaut d’être révoqué en 1961 au moment du « tournant socialiste ». Directeur de la Banque Nationale d’Égypte (1961-66), il est ensuite représentant de l’Égypte à l’Unesco, avant d’être rappelé au gouvernement comme vice-premier ministre, puis conseiller du Président jusqu’à sa mort en 1970. Écarté définitivement la vie politique sous Sadate, il se consacre à l’écriture et au comité international de sauvetage de Venise (1967-1977) dont il est vice-président. « Pilier culturel du nassérisme », le ministre entend susciter un climat nouveau dans ce domaine (création d’un orchestre symphonique et d’une troupe du théâtre national au Caire) et tente de compenser le départ des écrivains et des intellectuels non-arabes après 1956, ou de ceux qui sont partis en exil. Le ministère lance le « Projet des mille livres » (1959-1969) dont l’objectif est de mettre à disposition des lecteurs arabophones des œuvres tant classiques que témoignant des courants littéraires contemporains : Sartre, Camus, Beckett, Ionesco, Césaire, Eluard ou Robbe-Grillet seront accessibles à une génération qui n’a pas accès aux textes en édition originale, ce qui favorisera ainsi l’éclosion d’une génération d’auteurs qui refusent de se plier à l’esthétique réaliste du régime.
Dans le domaine de la protection du patrimoine, Okasha, avec Christiane Desroches-Noblecourt* engage l’Égypte dans la campagne de sauvetage des temples de Nubie associant cinquante pays sous les auspices de l’Unesco (Ramsès re-couronné, 1968). En 1959, il lance un appel à la coopération internationale pour sauver Abou Simbel et les temples menacés par la mise en eau du barrage Nasser. Pour assurer le succès de l’opération dans un contexte de guerre froide, il utilise les témoignages de l’Égypte pharaonique comme des ambassadeurs envoyés dans des expositions internationales (Trésors de Toutankhamon, Washington 1961, Paris 1967) – ce qu’il décrit dans ses Mémoires en politique et dans la culture (2000, en arabe).
La bibliographie d’Okasha (55 titres) est éclectique et multilingue. Parfaitement francophone et aimant jouer des correspondances des langues, il se pensait comme un trait d’union entre différents mondes littéraires. Il traduit en arabe Le Prophète de Khalil Gibran ou les Métamorphoses d’Ovide (1963), et il publie un magistral Répertoire des termes culturels arabes, français, anglais (1990) ou encore une Histoire générale de l’Art en 25 volumes (en arabe). Un de ses sujets favoris est le dialogue des civilisations et l’hybridité des échanges culturels qu’illustre son Égypte aux yeux des étrangers (1988, en arabe). Il y raconte comment la lecture de La mort de Philae de Loti* l’a inspiré pour sauver les monuments de Nubie. Loin de céder à un discours réducteur, il montre la réciprocité du regard sur l’Égypte ancienne et moderne qui oblige l’Égyptien à assumer un héritage qui est aussi celui des Européens. Figure originale de la Révolution de 1952, Tharwat Okasha s’impose à une place difficile de médiateur entre plusieurs univers culturels et politiques, entre affirmation d’une culture arabo-islamique moderne et volonté de s’intégrer aux courants culturels internationaux.
Jean-Gabriel Leturcq
JACQUEMOND Richard, Entre scribes et écrivains. Le champ littéraire dans l’Égypte contemporaine, Arles, Actes Sud/Sindbad, 2003.