(Glogau, Silésie, 1803 – Paris, 1867)
Spécialiste de philosophie juive et islamique médiévale. Fondateur de la science du judaïsme français.
Fils d’un bedeau de synagogue, destiné à devenir rabbin, Munk se rend à Berlin pour étudier auprès des fondateurs de la Wissenschaft des Judentums, Leopold Zunz et Eduard Gans, qui souhaitent faire entrer le judaïsme dans la modernité à travers la science. À l’Université de Berlin, il suit les cours de Hegel et de Boeckh. Il abandonne la philosophie pour l’étude des langues, et étudie à Bonn avec Lassen et Freytag. La nécessité pour les juifs en Prusse de se convertir pour enseigner à l’Université le pousse à s’installer à Paris en 1828. Il y étudie l’arabe auprès de Silvestre de Sacy*, le persan auprès de Quatremère*, le sanscrit auprès de Chézy*, et à ces langues ajoute la connaissance du syriaque et du chaldéen. Précepteur de la famille Rothschild, il remplace à la Bibliothèque royale l’indianiste Loyseleur des Longchamps chargé de rédiger le catalogue des manuscrits bouddhiques et védiques et le catalogue des manuscrits sanscrits. En 1832, il entreprend le classement des manuscrits sémitiques. Ce travail le conduit à élaborer la thèse qui guide son œuvre, selon laquelle c’est dans les manuscrits hébraïques des XIe-XIIIe siècles qu’il convient d’aller chercher le témoignage du rôle des juifs dans l’histoire. En 1840, Munk accompagne Adolphe Crémieux et Moses Montefiore en Égypte puis à Damas comme interprète, prenant sa part à la fois dans la dimension politique (protestation contre les accusations lancées de crimes rituels) et pédagogique du voyage. En 1866-1867 il exerce les fonctions de vice-président de l’Alliance israélite universelle. Membre du Consistoire Central, Munk participe en 1840 à l’entreprise de traduction de la Bible en français par Samuel Cahen et publie en 1845 un ouvrage intitulé Palestine (Firmin-Didot, 1845). Bien que déjà aveugle, il est élu en 1858 à l’AIBL et il atteint la consécration en 1862 lorsque Victor Duruy le nomme en remplacement de Renan* à la chaire d’hébreu du Collège de France, chaire qu’il occupe jusqu’à sa mort en 1867.
La place qu’il entend rendre dans les études d’histoire de la philosophie à la philosophie juive et arabe médiévale renvoie à sa conception du rôle du judaïsme dans l’histoire. Les juifs ont joué le rôle de passeurs entre Orient et Occident dans la transmission des corpus grecs ou arabo-musulmans mais également dans la formation de la pensée de nombreux écrivains chrétiens. Les notices qu’il donne au Dictionnaire des Sciences philosophiques publié en 1848 sur Al-Farabi, Ghazali, Al-Kindi, Avicenne et Averroès signalent la manière dont il conçoit l’histoire de la philosophie comme une alternance entre courants mystique et rationaliste. Les Mélanges de philosophie juive et arabe (A. Franck librairie, 1859) rassemblent ses travaux consacrés à des auteurs représentatifs des courants philosophique et religieux rationaliste, tandis que la première partie de l’ouvrage identifie pour la première derrière la figure de l’auteur néo-platonicien du Fons vitae (La Source de vie) Salomon Ibn Gabirol, philosophe juif du XIIIe siècle dont il livre une monographie. Son œuvre principale demeure la traduction du Guide des Egarés (1856-1863), qui reste un ouvrage de référence, et les travaux qu’il consacre à Maïmonide. L’adaptation que cet auteur fait de l’aristotelisme constitue son ouvrage en philosophie nationale du judaïsme marquant l’ensemble des penseurs juifs jusqu’à la Renaissance et au-delà, à travers la pratique d’une « exégèse rationnelle ». Avec l’œuvre de Munk, l’universalisme du judaïsme, élevé au niveau spirituel, atteint sa plus haute formulation.
Perrine Simon-Nahum
Compte rendus des séances de l’AIBL, 1858, 2(2), pp. 392-395. SCHWAB Moïse, Salomon Munk, Ernest Leroux, 1900.