La plus importante des Explorations scientifiques en Méditerranée.
En 1798, Bonaparte avait emmené avec lui en Égypte une « commission des sciences et des arts » de plus de 150 savants qui, durant près de trois années, recueillit une masse de données scientifiques considérables. Kléber prit, en novembre 1899, la décision de publier un grand ouvrage réunissant les matériaux de ces savants, dans le cadre d’une société commerciale privée. Ce premier projet n’aboutit pas, mais, dans le but de contrôler une production scientifique qui devait aussi renforcer la gloire du nouveau dirigeant français, Bonaparte décida par l’arrêté du 2 février 1802 que les résultats scientifiques de l’expédition seraient publiés aux frais du gouvernement dans un grand ouvrage. Les dessins de Denon, publiés très rapidement dès le retour de leur auteur, furent à peu près les seuls à échapper à la future publication.
Une « commission d’Égypte » de huit savants est alors créée dès 1802 pour suivre la publication. Présidée par Berthollet, le véritable maître d’œuvre en est Jomard*, secrétaire, puis commissaire de 1807 à 1829. 43 auteurs, appelés « coopérateurs », les savants ayant fait le voyage d’Égypte, livrent 157 mémoires d’importance variable. Jomard, à lui seul, en produit 26. Il n’y a bien sûr aucun auteur égyptien, et la Description constitue d’abord une vision occidentale de l’Égypte. Pas moins de 294 graveurs sont mobilisés pour illustrer les mémoires. L’édition d’un modèle luxueux est confié à l’Imprimerie impériale, qui utilise les plus grands formats - trois sont même créés pour l’occasion, parmi lesquels le format « grand-monde » ou « éléphant ». Un décret de 1809 fixe les modalités de l’impression : la Description, sera imprimée à 1 000 exemplaires
La collection est divisée en 3 parties : Antiquités, Histoire naturelle et État moderne. Neuf volumes in-folio, soit environ 7 200 pages, constituant la partie textes, tandis que les 837 planches (dont certaines en couleurs) gravées sur des cuivres prennent place dans 10 autres volumes, plus un dernier volume d’atlas. L’entreprise éditoriale est donc considérable et explique en partie le retard accumulé. L’ouvrage est vendu par souscription à un prix très élevé: de 3 550 à 5 550 F selon la qualité du papier (soit l’équivalent ou quasiment du traitement annuel de Jomard en tant que commissaire). La première livraison porte la date de 1809, mais est en fait antidatée et ne sort que l’année suivante : l’œuvre devait coïncider avec le 10ème anniversaire du coup d’État de Brumaire. Les dernières pages sont livrées en 1829. L’édition constitue un véritable gouffre financier : plus de quatre millions de francs de dépenses, alors que la plupart des exemplaires sont en fait offerts aux auteurs, puis à 250 bibliothèques publiques destinatrices de la munificence du pouvoir. La Description exige un meuble spécial pour être rangée. Vendue par souscription, une seconde édition, plus accessible financièrement, est réalisée de 1820 à 1830 par l’éditeur Panckoucke, avec un texte au format plus réduit.
L’ouvrage s’ouvre sur le majestueux et désormais célèbre frontispice dessiné par l’ingénieur François Cécile figurant l’apothéose de Bonaparte présenté sous la forme d’Apollon conduisant le quadrige des chevaux de Saint-Marc au milieu d’une Égypte antique redécouverte par les Européens. Les Français y sont montrés comme les héritiers des civilisations antérieures. La préface de Fourier est encore à la gloire du général en chef, mais les autres pages et planches n’y font quasiment plus allusion. Les planches évoquent l’occupation pacifique de l’Égypte par les Français, ce qui fut loin d’être la réalité. Au-delà de cette vision de propagande, le reste constitue un inventaire des plus détaillés du pays. C’est d’abord l’Égypte antique qui est mise en avant dans les volumes de planches. La Description constitue à cet égard la première présentation iconographique conséquente de l’Égypte, surpassant en précision les planches de l’ouvrage de Denon, et bien évidemment les récits des voyageurs antérieurs. Elle permet de poser la question de la beauté de l’art égyptien à une époque où la référence des Européens ne passait que par la Grèce antique. La masse considérable d’informations publiées va permettre de développer les études historiques sur l’Égypte antique - certains monuments disparus dans les années qui suivent, ne sont aujourd’hui connus que par ces pages. La partie État moderne permet de découvrir plus précisément l’art islamique, notamment à travers son architecture, ainsi que les métiers, les costumes, les meubles, les inscriptions, etc. La partie histoire naturelle offre des planches parmi les plus réussies, notamment celles en couleurs sur les oiseaux ou la minéralogie et les savants réalisèrent un travail très conséquent sur la description d’espèces alors inconnues d’eux. Les 47 feuilles de l’atlas réunies présentent sur une surface cumulée de 70 m² une carte de l’Égypte au 100 000ème, soit une précision inégalée par rapport à la précédente carte de Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville de 1766 par exemple.
Au total, la somme d’informations apportées est considérable. Leur qualité varie selon les auteurs et les dessinateurs. L’information n’est pas toujours parfaite : la population de l’Égypte est estimée alors à 2,5 millions d’habitants, alors qu’elle en compte probablement 4. Un certain nombre de planches présentent des erreurs, notamment dans les textes hiéroglyphiques et l’Égypte antique est présentée comme une sorte de paradis dominé par la raison et la sagesse. En réalité, la Description arriva déjà trop tard : la découverte de Champollion* en 1822 rend caduques la plupart des interprétations sur l’Égypte antique, à l’image du Tableau méthodique des hiéroglyphes de Jomard. Les planches présentant des colonnes de hiéroglyphes recopiées par des personnes qui n’avaient su les lire présentent d’évidentes faiblesses. Naturellement, l’ouvrage passe quasiment inaperçu chez les Égyptiens et pas seulement à cause de la barrière de la langue. Sa diffusion, due au coût important de la première édition, fut, dans une certaine mesure au moins, limitée. Pour ces raisons, la Description fut en fait un monument éditorial sans précédent destiné à transformer la défaite militaire des Français en victoire littéraire et scientifique. Elle révéla à l’Europe une Égypte antique et moderne et ouvrit la porte aux travaux scientifiques, décuplant par exemple l’engouement pour l’Égypte antique et la naissance de l’égyptologie.
Éric Gady
Grinevald Paul-Marie, « La Description de l’Égypte », in Jean-Marcel Humbert, Feu et Lumières. Bonaparte et l’Égypte, Hazan / Institut du Monde Arabe, Paris, 2008, p. 200-204. - Laissus Yves, Description de l’Égypte. Une aventure humaine et éditoriale, Édition de la Réunion des musées nationaux, Paris, 2009.