École Française d'Extrême-Orient (EFEO)

Cette notice remplace celle qui a figuré dans une précédente édition.

L’une des cinq écoles françaises à l’étranger, l’EFEO a pour mission la recherche interdisciplinaire sur les sociétés et civilisations asiatiques, de l’Inde au Japon.

La création de la Mission archéologique d’Indochine en 1898, devenue en 1900 l’École française d’Extrême-Orient à Saigon - à Hanoi à partir de 1902 -, marque une étape décisive dans l’histoire de l’orientalisme français. Auparavant, les savants fascinés par l’Inde ou la Chine avaient tendance à dénier à l’Indochine une originalité culturelle. C’est dans les années 1890 qu’une nouvelle génération de chercheurs (Edouard Chavannes*, James Darmesteter* et Sylvain Lévi*), devait conférer à l’Orient contemporain le statut d’objet scientifique.

La fondation de l’EFEO résulte de l’action conjointe de ces savants et d’amateurs locaux, militaires, administrateurs coloniaux ou missionnaires en poste en Indochine. Les recherches in situ, notamment dans les disciplines nouvelles telles l’ethnographie, la géographie et l’archéologie, sont jusque-là surtout conduites par des inspecteurs des affaires indigènes et encouragées par la Société des études indochinoises créée en 1883. En 1897, deux archéologues amateurs, Charles Lemire et Pierre Lefèvre-Pontalis proposent un projet d’institut de recherche en Indochine. Les indianistes de l’Académie des inscriptions et belles lettres, Auguste Barth, Michel Bréal et Emile Sénart, élaborent avec le Gouverneur général de l’Indochine, Paul Doumer, les statuts de l’EFEO en 1901. 

À sa création, l’École commence par recruter une poignée de membres scientifiques dans des domaines jugés prioritaires pour la mise en valeur des patrimoines locaux : archéologie, histoire, épigraphie, philologie et littératures. Elle s’appuie aussi sur des membres « correspondants » nommés parmi les administrateurs, militaires ou missionnaires jugés les mieux informés, pour conduire des inventaires ethnographiques et linguistiques parmi les nombreux groupes ethniques de la péninsule Indochinoise. Les premiers membres scientifiques, qui deviendront pour la plupart des noms célèbres des études asiatiques, sont nommés très jeunes. Pour la philologie et l’histoire chinoise et annamitique : Paul Pelliot* (21 ans), Henri Maspero* (25 ans) ; pour l’archéologie : Henri Parmentier* (29 ans) ; pour la philologie sanskrite : Jules Bloch* (25 ans) ; pour l’épigraphie khmère : Georges Cœdès* (25 ans) ; le premier directeur, Louis Finot*, archiviste-paléographe et sanskritiste, n’a que 34 ans. L’EFEO, dès le départ, fait figure d’institution ouverte à la diversité des trajectoires universitaires et professionnelles, même s’il existe des parcours communs : les archéologues et les architectes de l’École passent par les Beaux-arts de Paris tandis que les philologues et épigraphistes sont formés à l’École des langues orientales* et à l’EPHE. La sélection s’effectue sur la recommandation de savants consacrés : c’est ainsi que Sylvain Lévi, Auguste Barth, Alfred Foucher* ou même Marcel Mauss* conseilleront la jeune École dans ses recrutements comme dans ses projets de recherche.

Au fur et à mesure de sa croissance, l’EFEO représentera un passage décisif dans la carrière des orientalistes qui choisissent de rentrer en métropole. En effet, avec le soutien du Gouvernement général indochinois et du ministère des Colonies, le ministère de l’Instruction publique va créer des chaires d’études asiatiques à l’École des langues orientales*, à l’EPHE et au Collège de France* réservées en priorité aux anciens membres de l’École. De 1901 à 1939, sur les 64 professeurs élus au Collège de France, 6 sont issus de l’EFEO (Bloch*, Chassigneux*, Finot*, Pelliot*, Maspero*, Przyluski*). Après 1945, d’autres seront élus suivant les procédures régulières : E. Gaspardone*, P. Demiéville*, P. Mus*, J. Filliozat*, P. Gourou*, R. Stein* et J. Gernet. La première femme, Suzanne Karpelès*, intègre le corps des membres permanents en 1922. Les historiens de l’orientalisme tendent à omettre la contribution, aux côtés des chercheurs français, du personnel asiatique : les dizaines de lettrés chinois, indiens et vietnamiens, auteurs de la plupart des traductions effectuées, et les centaines d’ouvriers sur les chantiers qui ont rendu possibles les recherches archéologiques à Angkor ou ailleurs. Longtemps les collaborateurs autochtones, du fait des statuts coloniaux, ne peuvent devenir membres : c’est en 1939 que le premier titulaire vietnamien, l’ethnologue Nguyên Van Huyên*, est recruté ; il deviendra en 1945 ministre de l’Éducation d’Hô Chi-Minh.

L’EFEO, institution coloniale, n’échappe pas à l’histoire politique indochinoise. Dès 1908, le Gouvernement général souhaite placer l’École sous son contrôle direct, la contraignant à l’autocensure, ce à quoi elle entend résister : l’actualité politique, auparavant commentée par les chercheurs (accusés pour certains d’être trop libéraux), est progressivement bannie de son Bulletin (le BEFEO). À partir de 1914, afin de contrôler la formation des bonzes du Cambodge puis du Laos, il est demandé à des membres de l’EFEO d’administrer l’École supérieure de Bâli et l’Institut bouddhique de Phnom Penh qui se trouveront devenir dans l’entre-deux-guerres des foyers du nationalisme cambodgien. L’École doit aussi répondre à de violentes attaques menées par le milieu colonial conservateur qui considère que l’orientalisme doit recouvrer la pureté originelle des amateurs et s’en prend aux « normaliens de paquebots » de l’EFEO. Elle répliquera, soutenue par les universitaires et épaulée par des compagnons de route tels Roland Dorgelès et Paul Claudel*, par la plume (et les poings) de Paul Pelliot* qui pourfendra l’incompétence des soi-disant connaisseurs locaux.

La recherche sur les langues, les inscriptions, les manuscrits anciens, les textes rituels ou l’iconographie religieuse conduit l’École à constituer progressivement une importante bibliothèque orientaliste. Elle s’affirme aussi dans le paysage indochinois en participant à la fondation de l’université d’Hanoi et en créant plusieurs musées au Vietnam (arts asiatiques à Hanoi et à Saigon, sculpture cham à Danang) et au Cambodge (musée d’archéologie khmère). Ses travaux archéologiques se développent à travers la région, mais c’est surtout à Angkor, dont elle a la charge, que l’École est la plus visible donc la plus exposée. Malraux*, dans La Voie Royale, voulant justifier sa piteuse expédition pour y dérober des bas-reliefs sculptés du temple de Banteay Srei, met en cause sa gestion du site. Afin de financer les fouilles, la direction accepte que soient vendues des pièces déclassifiées jugées sans valeur archéologique (sur des milliers conservées), ce qui provoquera une polémique à l’intérieur et à l’extérieur de l’École. Le mouvement nationaliste prendra Angkor comme exemple pour dénoncer l’appropriation et la dilapidation par le colonialisme français des biens culturels khmers. Pourtant, après l’indépendance, tous les gouvernements cambodgiens successifs et l’UNESCO salueront l’œuvre de restauration des monuments et de conservation des vestiges accomplie à Angkor par des générations d’archéologues et d’architectes français et khmers, et renouvelleront leur confiance à l’EFEO. Le roi Sihanouk lui fera don de toutes ses archives personnelles.

La seconde période de l’École est marquée par le redéploiement de ses centres à travers l’Asie du fait des guerres entraînant un retrait temporaire de plusieurs pays. Si la direction, lors de la deuxième guerre mondiale, suit les consignes du gouvernement colonial de l’amiral vichyssois Decoux, plusieurs de ses membres rejoignent la résistance anti-japonaise et anti-nazie. À partir de 1948, l’EFEO, passe des accords de coopération avec les pays nouvellement indépendants qui aboutissent à une tutelle quadripartite entre la France, le Vietnam, le Laos et le Cambodge. Mais l’extension de la guerre la contraint à quitter Hanoi en 1957, puis le Cambodge en 1972. Plus généralement, le processus de décolonisation conduit l’École à modifier sa stratégie d’implantation. En 1955, Jean Filliozat* inaugure un centre permanent en Inde à Pondichéry. À la fin des années 1950 s’ouvre une antenne à Jakarta ; en 1968 le siège de l’EFEO s’établit à Paris, près du Musée Guimet, tandis qu’à Tokyo est inauguré l’Institut Hôbôgirin. Dans les années 1970-80, l’EFEO conforte ce réseau en créant des antennes à Chiang Mai (1975), à Kuala Lumpur (1987) et à Hong Kong (1989). À partir de 1990, l’École retrouve la péninsule Indochinoise, avec une reprise des activités à Phnom Penh et à Angkor, suivie en 1993 de la réouverture de centres à Hanoi et à Vientiane. Des antennes sont aussi implantées à Taipei (1992), à Séoul (1994), à Pékin et à Bangkok (1997), à Rangoun (2002) et à Hô-Chi-Minh-Ville (2011).

En 2012, l’EFEO, qui relève du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, comprend 42 enseignants-chercheurs (directeurs d’études et maîtres de conférences) et a la charge de 18 centres répartis entre l’Asie du Sud, du Sud-Est et de l’Est. À côté de ses domaines de recherche traditionnels (archéologie, histoire de l’art, bouddhisme, épigraphie, philologie…), une place grandissante est faite à l’anthropologie et à l’histoire contemporaine. Elle publie cinq revues : le Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient (BEFEO), Cahiers d’Extrême-Asie, Arts Asiatiques (avec Guimet), Aséanie, Faguo hanxue (Sinologie française) et Daoist Studies.

Pierre Singaravélou

CLEMENTIN-OJHA Catherine, MANGUIN Pierre-Yves, L’École française d’Extrême-Orient (1898-2000), Paris-Singapour, EFEO-Les Éditions du Pacifique, 2001. - SINGARAVÉLOU Pierre, L’École française d’Extrême-Orient ou l’institution des marges. Essai d’histoire sociale et politique de la science coloniale, Paris, L’Harmattan, 1999.



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