(Péronne, 1882 – Saint-Cyr-sur-Morin, 1970)
Écrivain.
Des existences éperdues et sans joie qui s’achèvent dans les dunes du Sahara, on en rencontre dans bien des œuvres de Pierre Mac Orlan. Celui-ci rend le sujet d’autant plus incantatoire qu’il lui est inspiré par son frère : Jean Dumarchey (1887-1929), entré à la Légion étrangère et ayant participé à plusieurs campagnes en Afrique du Nord. Il apparaît constamment, ne serait-ce qu’en filigrane, par exemple dans La Bandera, roman de 1931 porté à l’écran par Julien Duvivier* en 1935, qui conte l’histoire de Pierre Gilieth engagé dans la Légion espagnole après avoir commis un meurtre à Rouen ; il meurt au combat, pleuré par une jeune prostituée, Lalla Aïscha, « fille de la douceur » : On est en 1928, le Rif s’est embrasé.
Des légionnaires, en voici encore dans Carrefour des trois couteaux (1940), une histoire d’espionnage se déroulant dans le Sud algérien. Une femme, la Rose de sables, telle l’Antinéa de Pierre Benoît* pousse les héros à la trahison, à l’errance, à la mort - motifs que développe déjà Le Camp Domineau (1937) qui met en scène, à Bir Kecira en Tunisie, des « Joyeux », versés dans les bataillons disciplinaires localisés au Sahara. Ces récits exposent donc des thèmes à la fois personnels à l’auteur et portés par le contexte historique dans lequel il les insère : la conquête du Maroc et, de manière plus large, le fait colonial, militaire plutôt que civil. Adhérant aux idées admises par la société de l’époque, il se montre sensible à la vie pittoresque et dangereuse des soldats en Afrique du Nord. Il évoque la peur des hommes encerclés dans un fort solitaire par une population guerrière et qui redoutent de périr au milieu des tortures. Ayant vu comment les blessés achevés par les Rifains sont éventrés et « fument le cigare », ils préfèrent garder leur dernière balle pour eux… Par d’autres aspects, cependant, la vision de Pierre Mac Orlan lui appartient en propre : le décor oriental qu’il brosse - la peinture avait été sa première vocation - est mis au service d’une intrigue qui sert à révéler l’action des puissances implacables auxquelles les hommes sont soumis.
Pierre Mac Orlan a l’habitude d’effectuer des reportages préparatoires à ses livres. La Bandera a été précédée par une enquête conduite en Espagne, au Maroc et en Algérie (Légionnaires, 1930). En 1932, il va observer le 1er bataillon d’infanterie légère d’Afrique à Foum Tatahouine (Tunisie) puis publie un document, Le Bataillon de la mauvaise chance (1933), avant de rédiger Le Camp Domineau. De ses voyages, il rapporte également des articles repris en recueil par la suite (Rues secrètes, Arléa, 1989 ; Quai de tous les départs, Phébus, 1999), où l’on saisit mieux ce qu’est pour lui « l’Orient littéraire [qui] n’est plus tout à fait l’Orient géographique ». Le silence et la cruauté, le tumulte et l’indolence, l’orgueil et le détachement, l’amour et l’argent, la poésie et le sexe, la douceur, la brutalité… tout cela compose un tableau qui peut sembler conventionnel, mais dont le mystère enveloppe dans un « voile indéchirable » les villes visitées dont la plus étrange, la plus symbolique reste sans doute celle de Quartier réservé (1932).
Un autre élément caractérise la plupart de ces villes que dépeint l’écrivain, c’est le quartier chinois qui, parmi tous les lieux de perdition, désigne le plus sordide : la Chine est associée aux bas-fonds, aux voyous qui les peuplent et à l’extrême violence. Celle de la guerre, Pierre Mac Orlan lui-même l’a éprouvée, en 1916 au cours de l’attaque de la colline de Mont-Saint-Quentin : il y a reçu une blessure qui a entraîné sa réforme définitive.
France Marie Frémeaux
BARITEAU Bernard, Pierre Mac Orlan, sa vie, son temps, Droz, 1992.