BARRÈS Maurice

Cette notice remplace celle qui a figuré dans une précédente édition.

(Charmes, 1862 – Neuilly, 1923)

Écrivain et homme politique français. Sa révolte de jeunesse contre les Lumières le conduit à devenir une figure emblématique de la droite nationaliste. Tour à tour boulangiste, anti-dreyfusard et agitateur antisémite, il incarne le militarisme pendant la première guerre mondiale.

Barrès visite l’Algérie en 1898, la Grèce en 1900, puis l’Égypte en 1907. On trouve dans son œuvre de nombreuses allusions à l’Orient. Deux de ses ouvrages y sont précisément localisés. Un jardin sur l’Oronte (1922), fantaisie de harem située au temps des croisades, fit scandale dans les milieux catholiques conservateurs dont Barrès paraissait proche jusque-là : l’adultère au service de « la chrétienté de Syrie » et la conversion au christianisme par le moyen des amours illicites, avec la bénédiction d’un évêque, une parodie de la Passion enfin, furent jugés blasphématoires. Une enquête aux pays du Levant (1923) est d’une autre nature. Il s’agit d’une œuvre documentaire reprenant partiellement ses notes de député venu plaider le dossier des congrégations missionnaires, interdites d’implantation et de recrutement en France par la loi de 1901. Mais il s’agit tout autant d’une rêverie d’écrivain, profitant de cette occasion pour confronter ses théories au monde qu’il parcourt. Le voyage se déroule dans un cadre très formel, le député-écrivain-académicien enchaînant visites aux écoles, réceptions officielles et rassemblements festifs. Il débute par un court arrêt à Alexandrie, avant l’étape de Beyrouth, d’où Barrès rayonne à travers le Liban. De là, il passe à Damas, puis au pays des ismaïliens, à partir de Hama, avant de regagner Tripoli par la côte, puis Beyrouth par la mer. Il repart ensuite par Homs et Alep pour se diriger vers Konya, en Turquie et atteindre enfin Constantinople.

L’Orient de Barrès est essentiellement construit de références littéraires et savantes, à l’usage d’un Français qui y trouve la justification de sa conception de la « mission civilisatrice », voire de sa passion anti-germanique : Un Orient presque sans islam et sans musulmans, et dans lequel les dissidents comptent plus que les sunnites. Dès le préambule, Barrès affirme qu’il était né pour « aimer l’Asie » ; il se situe dans une tradition littéraire et romantique, citant de nombreux auteurs, de Goethe à d’Annunzio en passant par Delacroix*. Les références érudites ne manquent pas : Cumont*, Massignon*, Goldziher, Massé*, Lammens* et Renan*, « le vieux maître ». Sans se prétendre spécialiste, il lui arrive d’avoir des remarques pertinentes sur la société qu’il observe. Ainsi, relève-t-il la passion des notables chrétiens qu’il rencontre pour la politique française, qu’ils suivent dans La Croix ; il observe que ces « petits chefs » parlent constamment de « là où j’ai mes partisans », et que les faits d’histoire et de religion apparaissent dans cette réalité comme des querelles de villages. L’ensemble de l’ouvrage est construit autour d’une idée qui est exprimée dans la dédicace à l’abbé Henri Brémond, auteur d’une monumentale Histoire littéraire du sentiment religieux en France… qui lui sert d’ouverture : Barrès y affirme rechercher « l’étincelle mystique par qui apparaît tout ce qu’il y a de religieux, de poétique et d’inventif dans le monde. Rien n’existe dans l’humanité sans ce jaillissement primitif, … ». L’écrivain s’inscrit ainsi dans un courant, qui affirme la supériorité de l’émotion sur la raison, de la vitalité créatrice sur la réflexion, et qui aboutit à son époque à une réhabilitation de la mystique. Une enquête… est proche de ce point de vue de La colline inspirée (1913). D’où, d’un côté, les larges digressions consacrées au culte d’Adonis, à Hindiyya, aux ismaïliens, aux yazidis et aux derviches mevlevis de Konya. D’un autre côté, le premier objet du voyage est de rappeler l’idée de mission civilisatrice et pacificatrice de la France, fondée sur un sentiment de supériorité culturelle. L’auteur montre un enthousiasme niais devant une statue de Jeanne d’Arc portée de village en village ; il s’émerveille que, pour expliquer la notion de « préférence », de jeunes Orientaux répètent : « Je préfère la France à l’Allemagne » ! Il craint cependant de voir se former, parmi ceux qui ont fréquenté les écoles françaises, « une race de jeunes gens déclassés, déracinés, mécontents, et qui se lancent révolutionnairement dans des voies de réformes politiques, sociales et religieuses ». D’où la nécessité, quelque peu contradictoire, de leur faire « retrouver leurs sources héréditaires ».

Une enquête aux pays du Levant fruit d’un voyage accompli au début de l’été 1914, ne parut sous forme de livre qu’en 1923, juste avant la mort de l’auteur. Bien que Barrès ait amendé son texte, en introduisant parfois dans le cours du récit ou dans les notes des réflexions inspirées par les bouleversements survenus au Proche-Orient, ce ne fut pas un succès littéraire : ses observations avaient perdu de leur pertinence et l’auteur de son autorité et de son crédit. La défense actuelle de la francophonie, dans certains milieux, semble cependant d’inspiration barrésienne. De plus, il faudrait conduire une enquête sur la réception de ce livre auprès des chrétiens du Liban. Barrès y est encore souvent cité, jusque dans des thèses universitaires. Il faut dire qu’il a laissé de magnifiques évocations des paysages naturels du pays, qu’il a célébré le « règne théocratique » et la « vie patriarcale » du patriarche maronite, et chanté les mérites de l’université jésuite de Saint-Joseph, « phare spirituel de la Méditerranée orientale ».

Bernard Heyberger

L’œuvre, de Maurice Barrès, annotée par Philippe BARRÈS, Club de l’honnête homme, 1965-1969, 20 volumes, vol. XI, 1968 : Un jardin sur l’Oronte ; Faut-il autoriser les congrégations ? ; Une enquête aux pays du Levant. DBF, V, 589. FRANDON Ide-Marie, L’Orient de Maurice Barrès : étude de genèse, Genève, 1952.



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