(Nouméa, Nouvelle-Calédonie, 1886 – Paris, 1958)
Écrivain.
Un jour d’hiver, à Montmartre en 1910, des hommes sont réunis dans leur cabaret favori, Le Lapin agile. L’un d’eux entonne le refrain des bataillonnaires : « de Gabès à Tatahouine, de Gafsa à Médénine, d’Médénine à In-Kébili, c’est fini. Joyeux fais ton fourbi »… C’est Pierre Mac Orlan*. Le nouveau-venu qui prend ensuite sa place reste dans le ton de l’aventure lointaine et militaire. Sa romance conte les amours exotiques d’un petit marsouin : « Quand il partit aux colonies, Caporal pour Madagascar, il se disait, les amours sont finies »… Il se nomme Francis Carco. Ayant passé son enfance en Nouvelle-Calédonie qu’il a quittée avec sa famille en 1897, il est venu à Paris après son baccalauréat, avec l’intention précise de faire une carrière littéraire. Celui qu’on surnommera bientôt « M’sieur Francis » est avant tout connu pour sa peinture des « Apaches » qui turbinent sur les boulevards tels le héros de Jésus la Caille dont la parution, en 1914, assure sa célébrité. Cependant, son désir de découvrir d’autres mauvais lieux et leurs habitants le conduit une vingtaine d’années plus tard sur les rives orientales de la Méditerranée.
En 1932, Carco, qui travaille pour divers journaux, reçoit commande d’une enquête sur ses sujets de prédilection : la prostitution et les stupéfiants. Il va visiter Barcelone, Athènes, Smyrne, Istamboul, Beyrouth, Alexandrie, le Caire… Il décrit ses voyages dans plusieurs textes, reportages romancés et romans plus ou moins autobiographiques - l’emploi de la première personne ne permet pas d’affirmer la véracité du récit. Quand la relation s’intègre à une intrigue policière, celle-ci paraît généralement invraisemblable. Ainsi en est-il de La Dernière chance (1935).
Le narrateur part, du Pirée à Marseille via la Turquie, le Liban, la Tunisie… à la poursuite des trafiquants et des souteneurs. Il se promène dans les quartiers réservés : le Barrio Chino de Barcelone, le Vourla d’Athènes ; il traverse le bazar de Constantinople, entre dans les maisons closes et les fumeries égyptiennes. Les bordels exceptés, Carco au Caire, c’est un peu Tintin en Égypte. Semblable au célèbre reporter imaginé par Hergé*, il veut remonter les filières de la drogue. Lui aussi arrive du côté des pyramides ; il sympathise avec un égyptologue dont l’ambition est de percer le mystère des tombeaux endormis sous les sables.
Dans Heures d’Égypte (1941), Francis Carco franchit la porte du désert, « terre d’énigme » qui le charme d’autant plus qu’il est tombé follement amoureux d’une jeune femme d’Alexandrie - elle deviendra son épouse en 1936, après qu’il aura divorcé d’une première union. De leur rencontre, s’inspire en partie Palace Égypte (1933). Bien que l’auteur se défende de céder à la tentation exotique, il offre dans ce roman un parcours vers divers lieux obligés : Philae, Louxor, Assouan... Il visite les rues résidentielles de Garden City au Caire et boit un « glass » au bar du Continental, du Shepheard, du Sémiramis, où il côtoie des touristes portant un casque blanc et des Anglaises en quête de drogmans avantageux. Il mange « chez Xénophon », à la sortie d’Alexandrie. Bien sûr, il fait une incursion dans le quartier réservé de la même ville, la Guinenah. Et tout au long de son circuit, il se confronte au souvenir de Baudelaire*, de Nerval*, de Loti*. Mais plus que la poésie, ce sont les femmes qui retiennent son attention. Comme le pays lui-même, elles gagnent à « n’être vues et approchées que dans une atmosphère nocturne qui rend tout plus émouvant, pathétique, mystérieux ». Est-on si loin du « pittoresque de convention » que l’auteur dénonçait au début de son livre ?
France Marie Frémeaux
BEDU Jean-Jacques, Francis Carco, au cœur de la bohème, Le Rocher, 2001.