ARKOUN Mohammed

(Taourirt-Mimoun, Grande Kabylie 1928 – Paris, 2010)

Philosophe, islamologue.

Issu d’une famille pauvre et nombreuse, dans un village de Kabylie d’où sont également originaires les frères Mammeri*, il poursuit un cursus universitaire à Alger puis à la Sorbonne (agrégation d’arabe, 1956 ; doctorat en philosophie, 1968). Il fait l’essentiel de sa carrière universitaire à la Sorbonne, de 1972 à 1992, comme professeur d’histoire de la pensée islamique (Université Paris III, émérite à partir de 1993). Directeur de la revue Arabica à partir de 1980, il a exercé des fonctions scientifiques dans quelques organismes académiques internationaux (UNESCO, Fondation Aga Khan, etc.). Si on ne lui connaît pas d’engagement public direct lors d’événements politiques majeurs comme la guerre d’Algérie ou la « révolte » kabyle des années 1990, il a été tout au long de sa vie, avec d’autres, l’un des derniers piliers de la tradition des dialogues interreligieux, islamo-judéo-chrétiens, comme il a manifesté, à l’instar d’illustres devanciers (J. Berque*) et sans plus de succès, des ambitions d’action sur la gestion publique et institutionnelle de l’Islam en France.

Mohammed Arkoun a été l’intellectuel d’une idée fixe, évidente ailleurs mais décisive dans l’aire de l’Islam : penser l’islam comme système culturel et religieux inscrit dans une histoire à examiner de manière critique, au moyen surtout des sciences humaines et sociales modernes : ce qu’il a appelé, en référence notamment à Bachelard, une « islamologie appliquée ». Au bout de cette idée-programme, dans l’un de ses derniers ouvrages, Humanisme de islam (2006), Arkoun donne un raccourci de l’ambition de son travail : « transgresser, déplacer, dépasser ». Ce que l’on pourrait encore résumer par cet impératif méthodologique : « déconstruire ». Prenant le contre-pied de l’islamologie orientaliste traditionnelle comme des discours apologétiques musulmans contemporains, Arkoun juge indispensable de désacraliser l’islam, en déconstruisant les discours normatifs qui se sont succédé dans l’aire culturelle musulmane, et de déplacer les questions vers l’espace des sciences humaines et sociales modernes, affranchies des pesanteurs idéologiques.

S’il y eut un moment historique de véritable « humanisme » musulman - voir son travail inaugural sur Miskawayh (L’Humanisme arabe au IVe-Xe s., Vrin, 1970) -, où le religieux n’avait pas tout contrôle de la vie des sociétés, il est vital de soumettre le système musulman à l’enquête critique, seule à même de rompre avec l’essentialisme aussi bien orientaliste que fondamentaliste musulman, et de rendre intelligible les « modes concurrents de production du sens ». Dans quelques-uns de ses ouvrages tardifs, surtout dans Lectures du Coran (Maisonneuve et Larose, 1982), puis dans Pour une critique de la raison islamique (id., 1984), au titre kantien assez clair sur le programme de l’auteur, Arkoun s’est concrètement attelé à cette tâche immense.

On a pu lui reprocher le caractère programmatique de sa pensée, aux accents souvent comminatoires et véhéments, surtout quand oralement exprimée. Le recul nous permet d’accepter ceux-ci comme ceux d’un intellectuel qui se voulait penseur « révolté ». Il est peu utile de faire droit ici aux multiples critiques, souvent obscurantistes, qu’il a essuyées dans le monde arabe où son engagement personnel l’avait souvent conduit, surtout vers la fin de sa vie. Sans réduire une pensée à un autre de ses slogans, il faut rappeler que très souvent, dans ses écrits comme dans ses cours, il attachait beaucoup de prix à ce que l’on distinguât islam et Islam, religion et société. Au-delà des simples conventions typographiques, c’était là pour lui la grande affaire épistémologique de l’aire musulmane.

Symbole ultime de son engagement personnel envers le Maghreb, il a choisi d’être enterré au « Cimetière des Martyrs » de Casablanca, au Maroc.

Hassan Elboudrari



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