(Pérambur, 1709 – Pondichéry, 1761)
Courtier de la Compagnie française des Indes à Pondichéry, interprète, diplomate, intermédiaire majeur entre les Français et les sociétés indiennes au XVIIIe siècle.
Issu d’une famille de marchands fortunés de la région de Madras, il rejoint Pondichéry en 1714 avec sa famille, la Compagnie Française des Indes cherchant à attirer des négociants indiens pour faire du comptoir une place commerciale rivalisant avec Madras. Cela se conclut en 1716 par un exil, du fait de la concurrence entre les deux principales familles de marchands modéliars pour obtenir la charge de courtier de la Compagnie, doublée de fortes tensions religieuses entretenues par les jésuites. Il revient néanmoins à Pondichéry en 1718 et reprend à la mort de son père, en 1726, des activités commerciales et financières : armement de navires pour Manille ou Moka, fourniture de mouchoirs ou de toiles à la Compagnie, mise en circulation de billets d’obligation et de lettres de change... Grâce à la multiplicité des réseaux dans lesquels il s’insère, il gagne la faveur des Français sous le gouvernorat de Lenoir (1721-1735). Après avoir réuni en association avec d’autres marchands dans la prise à ferme des droits sur l’araque ou le tabac, il peut souscrire seul, de 1740 à 1756, aux baux de fermage de plusieurs villages de la région de Pondichéry. Agent zélé de la politique de Dupleix en Inde - gouverneur de 1742 à 1754 -, il obtient en 1749 le titre de courtier officiel de la Compagnie. Il rompt néanmoins avec Dupleix à partir de 1750, et connait de nombreux revers de fortune. Un an avant sa mort, en 1760, un certificat du gouverneur Lally Talendal lui accordant protection et avantages économiques, en récompense de services rendus, témoigne de son retour en grâce. Le caractère cyclique de son parcours, où alternent des périodes d’ascension et de mise à l’écart, témoigne des aléas des entreprises commerciales dans lesquelles il s’engage, ainsi que de sa position particulière entre les mondes indien et français.
Ananda Rangapillai, en effet, cumule de multiples fonctions et statuts : il est marchand, armateur, financier, fermier, courtier de la Compagnie des Indes, proche du pouvoir et des intérêts français dont il subit les instabilités, mais également traducteur et intermédiaire auprès des souverains hindous et des princes musulmans. Sa connaissance des langues (tamoul, français, telugu et persan) et des systèmes complexes de dons en usage dans les cours, à une époque où les Français connaissent mal les langues et les coutumes de l’Inde, font de lui un intermédiaire obligé. Il a surtout un rôle fondamental de passeur culturel entre la société française et la société tamoule. Dans le journal qu’il rédige, il rapporte les explications qu’il donne à Dupleix des habitudes et codes culturels locaux. Sa connaissance de la société locale lui permet d’accéder aux réseaux officiels français, ce qui lui apporte une validation de sa position et un renforcement de son statut : il est investi d’un pouvoir formalisé par des titres honorifiques assez généraux (« chef des Noirs », « chef des Malabars » ou « chef des Indiens » sont les titres qui apparaissent dans les documents de la Compagnie des Indes) mais qui se matérialisent dans le droit d’utiliser les signes d’un statut prestigieux : palanquins, éléphants, médailles, etc.
Fort de sa position politique et économique, il patronne poètes et musiciens. Des œuvres lui sont dédiées, par exemple le Ananda Ranga Campu (1752), qui reprend les formes épiques traditionnelles des poèmes sanskrits pour peindre le faste des cérémonies suivant les victoires militaires de Dupleix. Ananda Rangapillai a lui-même produit une œuvre majeure : un journal rédigé en tamoul, traduit dans son intégralité en anglais (The Diary, Government Press, Madras, 1961, 12 vol.) et, partiellement en français : en 1870 - une traduction anonyme à la gloire de Dupleix -, 1894 - traduction due au linguiste Julien Vinson - et en 2003 (traduction et commentaires de Pierre Bourdat, l’Harmattan). Écrit à la première personne entre 1735 et 1760, ce texte qui fournit, à travers une chronique comptable et commerciale, des informations précieuses sur la société pondichérienne a valu à Ananda Rangapillai le surnom de « Pepys indien » : à l’occasion du tricentenaire de sa naissance, un cycle de séminaires lui a été consacré à l’Université de Pondichéry.
Julie Marquet
SRINIVASACHARI Chidambaram S., Ananda Ranga Pillai : the “ Pepys ” of French India, Asian educational services, New Delhi, Madras, 1991. GAEBELÉ Yvonne, « Enfance et adolescence d’Anandarangapoullé », Revue historique, Pondichéry, 9, 1955.