BEN GHABRIT Abdelqader

(Sidi Bel Abbès, Algérie, 1868 – Paris, 1954)

Premier Recteur de la Mosquée de Paris.

Formé à l’école arabe-française puis à la médersa de Tlemcen, Ben Ghabrit est conseiller en législature musulmane en Algérie avant de devenir en 1892 drogman à la Légation de France à Tanger. Remarqué pour la qualité de ses notes en français et sa maîtrise des codes religieux, il se voit confier des missions officieuses à partir de 1895. Sa capacité à négocier avec les tribus marocaines en rébellion font de lui l’homme de la politique des tribus. Agent de liaison entre le Makhzen et les autorités religieuses, il accompagne activement la mise en place du protectorat sur le Maroc. Celui qu’on appelle à la Légation de France « notre passe partout » y devient un cadre titulaire. Jouant des codes et des traditions aussi bien musulmans et français, il deviendra consul général honoraire à Fès puis directeur du protocole du sultan marocain.

La carrière de celui qu'on appelle désormais Si Kaddour Ben Ghabrit a pris une dimension nouvelle avec la Grande Guerre. Choisi en 1916 comme chef de file des personnalités musulmanes apportant leur soutien au Chérif Hussein à la tête de la révolte arabe contre le pouvoir ottoman, il participe en 1917 à la mission chargée de le convaincre d'accepter les accords Sykes-Picot tenus jusque là secrets. Il poursuit les négociations avec l'émir Fayçal en vue de l’établissement d’un mandat français sur la Syrie.

En 1921, il est nommé à la direction de l'Institut musulman de la mosquée de Paris, symbole de la politique musulmane française. L’énergie qu’il met à assurer la construction d’une grande mosquée de style hispano-mauresque qui offre à la Métropole le spectacle d’un Orient à l’image d’une Andalousie rêvée lui vaut d’être promu ministre plénipotentiaire et officier de la Légion d’honneur (1925).

Comblé d’honneurs, Ben Ghabrit s'essaye à des publications orientalisantes. Dans Abou Nouas, ou l'art de se tirer d'affaire (1930), il reproduit un certain nombre de contes connus au Maghreb et que l'on attribue d'ordinaire au célèbre poète arabe. Il préface un certain nombre de livres touchant à l’islam ou à l’art : Vie de Mahomet de Raymond Lerouge (1939), Majorelle, cent tableaux du Maroc et de l'Atlas (catalogue d’exposition, Galeries Georges Petit, 1922), Fès, ô ma ville... recueil de poésies de Jeanne Pleutin-Grimpret (1936).

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Ben Ghabrit conserve sa position de conseiller en politique musulmane. Sans rompre avec le gouvernement de Vichy, il fait de la mosquée un refuge provisoire pour les musulmans démunis de Paris et de sa région. Après la guerre, ce serviteur de l’Empire se fait négociateur des termes de l’indépendance des pays d’Afrique du Nord. Il décède quelques mois avant le début de l’insurrection algérienne. Fin politique, adepte de la politique d’association, Ben Ghabrit a contribué à nourrir dans l’opinion française les clichés les plus convenus sur le monde arabo-musulman.   

Jalila Sbaï

SBAÏ Jalila, « Trajectoire d’un homme et d’une idée : Si Kaddour Ben Ghabrit et l’Islam de France, 1892-1926 », Hespéris Tamuda, XXXIX (1), 2001, p. 45-58. SBAÏ Jalila, « La République et la Mosquée : genèse et institution(s) de l’Islam en France », in Pierre-Jean Luizard (dir.), Le choc colonial et l’islam, La Découverte, 2006, p. 223-236.



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