(La Marsa, 1903 – Tunis, 1976)
Important intellectuel de double culture dans la Tunisie coloniale et postcoloniale.
Issu d’une famille d’Andalous installée en Tunisie depuis le XVIIe siècle, Othman Kaâk suit le cursus conforme aux normes du milieu de notables citadins de l’époque di Protectorat : koutab d’abord, puis collège Sadiki de 1908 à 1918. Il cultive le caractère duel de cette formation en suivant les cours de la Grande mosquée de La Zitouna tout en perfectionnant sa connaissance des langues étrangères (français, italien, espagnol, allemand et anglais). Influencé par l’orientaliste William Marçais* qui dirigeait l’École supérieure de langue et littérature arabes de Tunis, il part à Paris poursuivre ses études. Il fréquente les séminaires de l’École des Langues Orientales où il s’initie au persan, au berbère et au himyarite, puis ceux de l’EPHE où il étudie le latin et le grec. Il obtient ainsi, en 1926, une licence ès-lettres en Sorbonne et rentre à Tunis où il est nommé, en 1928, professeur d’histoire et de géographie à l’École supérieure de langue et littérature arabes. En parallèle à cette carrière d’enseignant, l’homme de lettres développe son activité de conférencier dans des cercles littéraires – son frère est président de la Khaldounia – ou à la radio – il devient secrétaire général des programmes arabes à la Radiodiffusion tunisienne (1938-1945). Nommé à la tête du département des livres arabes à la Bibliothèque publique de Tunis - situé au souk El-Attarine -, il devient le conservateur général de l’établissement qui sera promu Bibliothèque nationale à l’indépendance. Il occupe ce poste entre 1956 et 1965 et achève sa brillante carrière administrative en tant que conseiller auprès du ministre des Affaires culturelles (1965-1967).
La double culture d’Othman Kaâk lui permet une ouverture rare. L’originalité de sa démarche tient ainsi au fait que son œuvre garde une place au passé pré-islamique tout en témoignant d’une curiosité géographique large. Bien qu’arabisant et nationaliste, il ne cède pas à l’enfermement facile du carcan localiste en vogue chez bon nombre de ses homologues : s’il s’intéresse à l’histoire tunisienne musulmane, notamment dans son étude sur La société tunisienne à l’époque aghlabide, il se penche aussi sur l’Histoire générale de l’Algérie, depuis la préhistoire jusqu’à l’époque contemporaine (1925). De même, il analyse la poésie arabe selon une filiation plurielle : il rapproche, par exemple, l’art d’Ibn Rûmi de la tradition littéraire grecque classique. Cet intérêt pour les temps les plus reculés le conduit naturellement à intégrer les vestiges archéologiques à sa réflexion : il se distingue comme l’un des premiers historiens à envisager le problème de la conservation du patrimoine tunisien en langue arabe. Ses articles à caractère archéologique publiés dans des revues comme al-Fagr ou al-Badr sont destinés à familiariser le public tunisien avec son histoire, entendue dans une perspective nationale. Il meurt la veille d’une rencontre « sur la pensée islamique » où il devait présenter une intervention sur un thème peu convenu à cette époque dans les milieux nationalistes, celui de la préservation et de la mise en valeur du patrimoine archéologique.
Clémentine Gutron
CHENOUFI Ali, Les Cahiers de Tunisie, 1976, p. 347-350. BEN ACHOUR Mohammed el-Fadhel, Le mouvement littéraire et intellectuel en Tunisie, traduction annotée, avec introduction et index par Noureddine Sraïeb, Tunis, Alif-Éditions de la Méditerranée, 1998.