(Tunis, 1884 – Tunis, 1968)
Historien tunisien.
Issu d’une famille de notables au service de l’administration beylicale depuis le début du XIXe siècle, il rejoint en 1899, après de premières études au koutab de Mahdia, le Collège Sadiki. L’enseignement qu’il y reçoit lui ouvre l’horizon : en 1902, il part à Paris pour suivre le cursus de l’Institut d’études politiques. La mort de son père (1904) précipite son retour à Tunis où, suivant la tradition familiale, il se lance dans une carrière administrative qu’il commence au Service des domaines de l’État. Au cours de la Grande Guerre, il intègre les Services économiques de la Régence, avant d’être nommé conservateur des Archives générales (1920) – poste où il s’illustre en établissant un système rigoureux de classement des documents et de cotation. Il est promu caïd en 1928, à Mahdia, la ville de son enfance, puis à Nabeul en 1935. À sa retraite, en 1939, il est appelé à présider la Société des Habous avant d’être fait ministre de la Plume par Lamine Bey (1943-1947).
Parallèlement à cette brillante carrière qui s’achève par l’exercice des plus hautes fonctions de l’administration beylicale, Hassan Hosni Abdulwahab cultive une passion pour l’histoire et se distingue rapidement comme l’un des meilleurs spécialistes du pays. En 1905 déjà, sa communication sur la domination arabe de la Sicile, présentée lors du Congrès des orientalistes d’Alger, fait sensation. L’enseignement de l’histoire à la Khaldounia lui est ainsi confié en 1908, au départ à la retraite de Béchir Sfar (1865-1917). Cette même année se tient le Congrès des orientalistes à Copenhague ; seul participant musulman, l’historien tunisien s’y fait remarquer en critiquant la description du Prophète que viennent de présenter von Oppenheim et Goldziher. Ces divergences de vues n’empêchaient pas un dialogue stimulant avec les orientalistes européens. En plus de travaux sur manuscrits, cet homme de bibliothèque a su poursuivre ses investigations sur le terrain. Il s’initie à l’épigraphie avec l’islamologue italien Griffini, venu étudier, dans les années 1910, les inscriptions coufiques décorant les sépultures des cimetières kairouanais. La connaissance archéologique de cette cité sera approfondie par les travaux de Georges Marçais*, qui établit avec lui quelques années plus tard une relation de forte collaboration. Lorsque, pendant la Première Guerre mondiale, se crée la chaire d’histoire de la Tunisie et de l’Afrique du Nord au sein de l’École supérieure de langue et de littérature arabe de Tunis, le directeur de cet établissement, William Marçais*, en confie la charge à Abdulwahab qui y dispensera un enseignement jusqu’en 1925. Le souci de penser l’histoire de la Tunisie dans son ensemble est manifeste dans son œuvre. En 1917 paraît, dans la Revue Tunisienne*, un texte important intitulé « Coup d’œil général sur les apports ethniques étrangers en Tunisie » qui résume la conception de l’histoire qu’il développera dans son célèbre précis d’histoire tunisienne, Khulasat Tarikh Tunis, publié en 1918 et qui deviendra le manuel de générations d’écoliers (réed. Tunis, Dar al-Janoub Linnarch, 2001 avec une autobiographie en appendice). Ce texte offre une lecture alors très classique de l’Antiquité : le Phénicien serait caractérisé par son « esprit pratique et mercantile »; la période romaine par son faste ; les Vandales seraient des destructeurs ; et les Berbères y sont présentés comme « disposés, de par leur nature à imiter le vainqueur ». Bref, une vision de l’Afrique antique bien différente de celle qu’avait pu développer l’écrivaine Isabelle Eberhardt* – lors de son séjour au Dar Abdulwahab, en 1899, l’auteure qui eut une liaison avec son frère Ali, avait été frappée par la vivacité d’esprit du jeune Hassan Hosni – qui voyait en chaque conquérant un futur perdant dont la terre d’Afrique triomphait.
La formation de Hassan Hosni Abdulwahab, ouverte sur la culture européenne, ses liens avec les savants français, orientalistes ou antiquisants (il sera le premier directeur indigène du Service des Antiquités de Tunisie, devenu l’Institut national d’archéologie et d’art), ainsi que son orientation politique non hermétique à une certaine francophilie, n’en font pas moins un homme résolument ancré dans la culture arabe et musulmane. Très pieux, il réalise entre 1935 et 1950 trois pèlerinages. Foi et curiosité intellectuelle l’ont aussi conduit vers l’université de la Zitouna. Fortement influencé par les idées des premiers réformistes tunisiens, il s’est engagé avec force dans le mouvement de renaissance culturelle initié, notamment à la Khaldounia dont il a été l’un des principaux professeurs. Il se fait le héraut des études tunisiennes à l’étranger, aux Congrès des orientalistes (Alger, 1905 ; Copenhague, 1908 ; Paris, 1922 ; Rabat, 1927) ou encore au premier Congrès de musique arabe du Caire (1932). Hassan Hosni Abdulwahab jouit d’un grand prestige en Orient : il intègre ainsi l’Académie du Caire et siège également à l’Académie de Damas ou à l’Académie des sciences de Bagdad. Par ailleurs, l’historien entretient des rapports d'amitié avec d’importantes personnalités littéraires égypteinnes comme le poète Ahmed Chawki (1868-1932) et le romancier Taha Hussayn*.
Tunisien intégré dans le monde oriental, Abdulwahab est l’auteur d’une œuvre empreinte d’une posture spécifique. Son manuel ne brillait pas par son originalité, mais la démarche qui consistait à dresser en arabe un tableau de l’histoire du pays incluant les périodes antiques fut en son temps extrêmement novatrice : seul Béchir Sfar (1856-1917) - un sadikien de Mahdia comme lui et son prédécesseur à la Khaldounia -, avant lui s’y était risqué dans son Miftah at-Tarikh (« la clef de l’histoire », publication posthume,Tunis, 1928). Mais l’essentiel de ses travaux portant sur la Tunisie médiévale, son œuvre essentielle reste son Waraqat ou « Études sur certains aspects de la civilisation arabe en Ifrikia » (deux volumes, publiés à Tunis en 1965 et 1966), où il témoigne d’une parfaite connaissance des sources de l’histoire maghrébine.
Clémentine Gutron
BOUHDINA Mohamed, Célébrités tunisiennes, Tunis, 1992, p. 304-305. DEMEERSEMAN André, IBLA, 122, p. I-IV. DJAÏT Hicham, Les Cahiers de Tunisie, 1968, p. 3. ZMERLI Sadok, Les figures tunisiennes, Tunis, Dar al-Gharb al-islami, 1993, p. 133-140 et Feuilles éparses, Tunis, Kahia, 2000, p. 70.